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palais Pitti, et l’on comprendra sans peine que la nudité pure est plus chaste que le corps à demi vêtu. Le Destin du Génie, de M. Durham, n’est qu’une conception banale, dont une exécution fine et savante pourrait seule racheter l’insignifiance. Malheureusement la figure entière est plutôt ébauchée que modelée. Ce qui me blesse dans cette composition, c’est qu’elle me rappelle l’Esclave de Michel-Ange, destiné au tombeau de Jules II, et que nous possédons au Louvre. Je ne veux parler, bien entendu, que de l’attitude de la figure. Si c’est là le destin du génie, il faut avouer qu’il est singulièrement représenté, car le Génie de M. Durham n’a pour lui ni la beauté du corps ni l’expression élevée du visage ; c’est tout simplement un jeune homme dévalisé par des brigands, dépouillé de ses vêtemens, et lié au tronc d’un arbre par les malfaiteurs qui lui ont pris sa bourse. En admettant qu’un tel sujet convienne à la sculpture, et je suis loin de le penser, nous aurions le droit d’exiger une expression de souffrance et de résignation dont M. Durham ne semble pas s’être préoccupé.

L'Eve de M. Macdowell ne s’accorde guère avec le sujet indiqué par l’auteur, car, s’il faut en croire le livret, nous avons devant les yeux Eve hésitant à cueillir le fruit défendu ; or la femme modelée par M. Macdowell ne signifie guère que l’ennui et la somnolence. Eve, le corps à demi renversé, semble chercher un point d’appui ; quant à l’hésitation, je n’en vois pas trace sur son visage. Ajoutons, pour être complètement sincère, qu’elle n’est pas belle, et qu’elle rend la complicité d’Adam plus difficile à comprendre. Quand on se rappelle l’Eve peinte au Vatican par Raphaël, on se demande comment le statuaire anglais a pu se croire dispensé de douer la première pécheresse d’une beauté souveraine. Le témoignage de Milton suffisait d’ailleurs pour lui révéler les conditions d’un tel sujet. S’il faut dire toute ma pensée, de toutes les figures envoyées par les sculpteurs anglais, la plus naïve, la plus vraie, la plus spontanée comme conception et comme exécution est celle que M. Spence nous a donnée sous le nom de Highland Mary. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, c’est du moins une jeune montagnarde dont le visage respire la candeur et dont les vêtemens sont bien ajustés. C’est de la sculpture de genre, j’en conviens ; mais la figure entière se recommande par un accent de vérité que je ne retrouve ni dans l’Angélique de M. Bell, ni dans le Génie de M. Durham, ni dans l’Ève de M. Macdowell, ni même dans le Chasseur de M. Gibson.

Et maintenant que faut-il penser de l’état de l’école anglaise ? Est-elle en progrès ? est-elle en décadence ? L’histoire va nous répondre. Personne aujourd’hui dans l’école anglaise, Landseer et Stanfield