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exceptés, ne peut se comparer ni à Lawrence, ni à Wilkie, ni à Chantrey. Si nous remontons plus haut dans le passé, nous trouvons des hommes qui représentent avec une fidélité merveilleuse le génie anglais sous un double aspect : l’aspect majestueux et l’aspect satirique, Reynolds et Hogarth. Or on pourrait trouver dans Lawrence le continuateur de Reynolds, et dans Wilkie le continuateur d’Hogarth. Sans vouloir établir aucune comparaison entre ces quatre hommes, doués d’une incontestable originalité, il est permis du moins de les ranger dans la même famille. Les œuvres de l’école anglaise placées aujourd’hui sous nos yeux ne sont pas unies par une évidente parenté aux œuvres de Reynolds et d’Hogarth, de Lawrence et de Wilkie. Nous avons la peinture anecdotique, parfois ingénieuse ; mais que nous sommes loin du Jour de Loyer, du Colin-Maillard et de l’École révoltée ! Nous avons des portraits, mais où retrouver l’équivalent de Thomas Lambton ? Ni Lawrence ni Wilkie n’ont été remplacés. Le seul contemporain de ces deux artistes éminens qui garde encore son rang s’appelle Landseer ; il n’a rien perdu de son savoir, rien perdu de son ardeur au travail. Il ne s’agit pas de décider si la peinture de portrait et la peinture anecdotique ont plus d’importance que la peinture d’animaux : il s’agit de comparer les œuvres de Landseer aux œuvres de ses compatriotes, et de voir s’il les domine. Or je ne crois pas qu’il y ait deux manières de répondre à cette question. Holbein et Mabuse, Rubens et Van-Dyck, les premiers instituteurs de l’école anglaise depuis Henri VIII jusqu’à Charles Ier, semblent aujourd’hui parfaitement oubliés. Il s’agit avant tout de trouver place dans les galeries particulières, et, pour atteindre ce but, l’école anglaise néglige aussi résolument les œuvres que les écrits de Reynolds, inspirés par l’étude des maîtres italiens. Quant à la sculpture, il est trop évident qu’elle n’atteint pas aujourd’hui à la hauteur de Chantrey, car s’il n’a pas toujours respecté l’harmonie linéaire, Chantrey savait du moins modeler avec fermeté, et la statue de James Watt, placée à Westminster-Abbey, révèle un savoir profond, dont je cherche en vain la trace parmi ses compatriotes. Il est donc permis d’affirmer que l’école anglaise n’est pas en progrès, et pour le prouver, je m’adresse à l’Angleterre elle-même. C’est à l’histoire de cette école que je demande la démonstration de ma pensée. Reynolds, Lawrence, Wilkie et Chantrey expliquent et justifient la sévérité de mon jugement.


GUSTAVE PLANCHE.