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de leurs légendes sur les Huns, la Hunnie seule n’aurait pas eu les siens ! Héros pour le reste de l’Europe, Attila n’aurait rien été pour cette terre où il régna, où il mourut, et qui recouvre encore ses os ! Sa renommée, partout si vivante, serait venue expirer précisément là ! Un tel fait, on en conviendra, serait plus surprenant que la continuité du souvenir, et il faudrait le prouver pour qu’on y pût croire. Or c’est le contraire qui se démontre sans peine. Pour admettre l’existence possible de traditions conservées en Hongrie sur le premier empire hunnique et sur Attila, il suffit de réfléchir un peu à l’origine du peuple hongrois et aux circonstances qui accompagnèrent son établissement en Europe.

D’abord on ne saurait douter que les Hongrois, appelés Hunnugars par les Latins, Ounougours par les Grecs, ne fussent des Huns. Mélange de tribus ougouriennes et de tribus finno-hunniques, ils se montrent à nous en 650 près des sources du Jaïk, où il font le commerce des fourrures de martre avec la Perse et l’empire romain. Un siècle auparavant déjà, l’historien Priscus signalait entre le Bas-Volga et le Don des populations ounougoures que le progrès des invasions turkes poussa de plus en plus vers l’Occident. Au IXe siècle, le gros de la nation hunnugare campe entre le Don et le Dnieper, sous la vassalité des Khazars, maîtres de la Crimée à cette époque et dominateurs des contrées de la Caspienne jusqu’à l’Oxus. Vers l’an 888, les Patzinakes ou Petchenègues, débouchant de l’Asie centrale avec la violence d’une cataracte, fondent sur les Hunnugars et les rejettent au midi, vers les Carpathes et le Danube. Les Hunnugars forment alors avec l’Europe civilisée leurs premières relations, qui sont, on s’en doute bien, des relations de guerre. Bientôt un puissant renfort leur arrive. Une guerre civile ayant éclaté chez leurs maîtres, les Khazars ou Acalzires, d’origine hunnique comme eux, bien qu’affiliés à la domination turke, huit tribus du parti vaincu vont les rejoindre au pied des Carpathes. Hunnugars et Khazars se mêlent pour ne former qu’un même peuple, et leurs idiomes, voisins l’un de l’autre, se confondent aussi avec le temps. Au nombre des tribus khazares se trouvait celle des Megers ou Moger {Magyars, suivant l’orthographe hongroise actuelle) ; elle devient la tribu dominante et impose son nom à la communauté. Ainsi se sont constitués le peuple hongrois et la langue hongroise sur la limite de l’Europe et de l’Asie. Les nations latines continuèrent à désigner les nouveau-venus par le nom d’Hunnugars, mais les Grecs les appelèrent Turks à cause des Khazars, qu’ils classaient parmi les Turks. Ces détails, extraits des papiers de la chancellerie byzantine par le savant empereur Constantin Porphyrogénète, presque contemporain des événemens, méritent au plus haut degré notre confiance.