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chansons pour y retrouver les coutumes, les institutions politiques, la loi civile elle-même. Enfin c’était au son d’une formule chantée que le héraut d’armes parcourait le pays, une lance teinte de sang à la main, pour appeler aux diètes de la nation tous les hommes valides. Les révolutions religieuses s’accomplissaient encore au chant de poèmes composés pour la circonstance. L’histoire nous parle d’une révolte païenne arrivée en 1061 sous le règne du roi Béla Ier. Le peuple soulevé déterre les idoles, profane les églises, égorge tout ce qui porte un habit ecclésiastique, tandis que les prêtres païens, grimpés sur des échafauds, hurlent des chansons telles que celle-ci : « Rétablissons le culte des dieux, lapidons les évêques, arrachons les entrailles des moines, étranglons les clercs, pendons les préposés des dîmes, rasons les églises et brisons les cloches ! » Le peuple, en dérision du christianisme, répondait à cette épouvantable oraison : « Ainsi soit-il[1]. »

De cette lutte du christianisme avec la poésie populaire naquirent les chroniques hongroises. Impuissant à étouffer son ennemie, le christianisme chercha du moins à la désarmer ; il essaya de purifier et de s’approprier dans la mesure possible ces compositions traditionnelles, où l’esprit guerrier de la nation trouvait un stimulant heureux, et les familles nobles une satisfaction d’orgueil. Le peuple hongrois ou du moins ses hommes les plus intelligens s’étaient jetés avec ardeur dans les études dont le christianisme ouvrait la perspective aux nouveaux convertis. Les chapitres ecclésiastiques devinrent des institutions littéraires où l’on enseigna, outre le droit canon et l’exégèse des livres saints, quelques monumens des littératures romaine et grecque. Multipliés, enrichis par les fondations des rois hongrois depuis l’an 1000, et dirigés soit par des évêques nationaux, soit par des docteurs appelés du dehors, ces chapitres organisèrent une guerre de critique littéraire et religieuse contre l’histoire traditionnelle, au nom de la loi chrétienne et de la belle littérature. Dès le règne de saint Etienne, deux écoles ecclésiastiques attiraient la jeunesse magyare dans les murs de Strigonie, aujourd’hui Gran, et d’Albe-Royale, nouvelle capitale de la Hongrie chrétienne et monarchique. Veszprim eut aussi la sienne, célèbre au XIIIe siècle et richement dotée en 1276 par Ladislas le Cuman. Louis le Grand de la maison d’Anjou érigea, sous le nom même d’académie, dans le chapitre de Cinq-Églises, un gymnase littéraire calqué sur ceux de la

  1. « Plebs constituit sibi praepositos quibus praeparaveruut orcistrum de lignis… Intérim veto praepositi in eminenti reisdentes praedicabant nefanda carmina contra fidem… More papagnico vivere, episc opos lapidare, presbyteros exinterare, cleriocos strangulare, decimatores suspendere, ecclesias destruere, et campanas confringere… Plebs autem tota congratulanter affirmabat : Fiat, fiat.) Cronicon. Budense. Ad ann. 1061.