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appartient au seul Jornandès. Ces paroles bien connues de l’Évangile selon saint Jean : « ce qui vient de la chair est chair, et ce qui vient de l’esprit est esprit, » servent de texte à la réfutation de Kéza, qui, partant de là, n’a pas de peine à prouver que les Magyars, composés de chair et d’os, ne peuvent venir des démons, qui sont de purs esprits, mais qu’ils tirent leur origine, de même que les autres races humaines, naturellement d’un homme et d’une femme. Ce raisonnement eut un tel succès, on y vit une réponse si décisive aux insinuations malignes des érudits allemands, que les chroniqueurs des époques suivantes, et même plus d’un historien du XVe siècle, en ont orné le frontispice de leurs livres. La chronique de Simon Kéza consacre une large place aux traditions sur Attila et sur les Huns : elle a le mérite d’avoir construit la première avec une certaine amplitude la période traditionnelle qui sert d’introduction à l’histoire de Hongrie.

Elle fut lue avec admiration ; un clerc de la chapelle du roi Louis Ier la mit en vers léonins, et le XIVe siècle on vit paraître une imitation développée au moyen de chants nationaux que Simon Kéza, dans sa demi-réserve, avait cru devoir écarter. Ce fut un nouveau pas dans l’emploi de la poésie chantée pour construire l’histoire. De même que Kéza avait admis dans ses récits l’aventure du nain Botond et de sa doloire, si dédaigneusement proscrite par le notaire anonyme, de même la nouvelle chronique, à laquelle on donne vulgairement le nom de Chronique de Bude, parce que le manuscrit en fut trouvé au XVe siècle dans la bibliothèque de cette ville, ne craint pas d’admettre le conte de Léel, dont Kéza avait fait si bon marché. Ce conte peut être donné comme spécimen de la manière dont l’histoire était accommodée dans les chansons magyares, et quoique résumé, tronqué, poli par le chroniqueur latin, qui le plie à son caprice, il conserve encore quelque chose de l’âpreté sauvage qui caractérisait cette poésie.

On est en 955. Les Hongrois campent devant la ville d’Augsbourg, dont ils font le siège ; mais ils se gardent mal, et pendant qu’ils ne songent à rien, l’empereur Conrad tombe sur eux à l’improviste avec une armée d’Italiens et d’Allemands. Serrés entre la ville et la rivière du Lech, dont les eaux sont profondes, ils n’ont que le choix d’être massacrés ou noyés. Deux fameux capitaines. Léel et Bulchu, sont faits prisonniers en essayant de traverser le fleuve à la nage, et on les conduit devant l’empereur. La chanson contient une erreur dont la rectification importe d’ailleurs fort peu pour l’objet qui nous occupe ; l’empereur d’Allemagne à cette époque n’était pas Conrad Ier, mais bien Othon le Grand.

« — Pourquoi donc, leur dit l’empereur, êtes-vous si cruels aux