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convertit, et bientôt après Geiza fut baptisé. Jusqu’à quel point l’éclat de cette couronne royale qu’on faisait resplendir dans le lointain aux yeux des néophytes concourut-il, avec les séductions de la belle maîtresse, à déterminer la conversion de Geiza ? On ne saurait le dire ; mais on sait que Geiza, homme d’un caractère faible et incertain, s’il avait convoité la couronne, n’osa pas la mériter. Une révolte survenue parmi ses sujets pour le rétablissement du culte païen le trouve pusillanime et presque renégat ; non-seulement il ne la réprime pas, mais il mange du cheval et fait acte de paganisme pour sauver son autorité menacée. Il resta duc, mais il dut renoncer à être roi. Quant à Sarolt, d’une âme mieux trempée et d’une foi plus sincère, elle brava les menaces et ne broncha pas un instant. Si la couronne eût pu être donnée à une femme, Sarolt était digne de la recevoir et l’aurait noblement portée ; par malheur, les institutions magyares ne le permettaient point encore, et plus malheureusement Sarolt n’avait point de fils sur qui put se reverser la reconnaissance de l’église. C’est à ce moment critique pour la race d’Attila et pour les destinées chrétiennes de la Hongrie que nous allons reprendre le cours interrompu des traditions.

« Le temps marqué par les décrets de Dieu est arrivé, » nous dit sur le ton d’une prophétie la chronique de l’évêque Chartuicius. — Il fait nuit, et Sarolt, en proie au chagrin de sa stérilité, n’a cédé qu’avec peine au sommeil, quand un jeune homme lui apparaît dans un rêve. Ce jeune homme tout resplendissant d’une beauté céleste porte le vêtement des diacres chrétiens. Il s’approche de sa couche et lui dit : « Femme, aie confiance en Dieu. Tu mettras au monde un fils, et à ce fils est réservée une couronne d’une durée infinie. Tu auras soin de lui donner mon nom. — Qui donc êtes-vous ? demande Sarolt étonnée. — Je suis, reprend la vision, le proto-martyr Etienne, le premier qui versa son sang en témoignage pour le Christ. » Neuf mois après cette apparition, Sarolt accouche d’un fils qu’elle nomme Etienne ou plutôt Stéphanos, vrai nom du proto-martyr, et, suivant la remarque faite par le légendaire lui-même, ce mot signifie couronne[1]. Voilà donc le fils de Geiza prédestiné à cette royauté perdue par la faiblesse de son père, reconquise par les mérites de sa mère. Etienne est l’enfant de la femme forte, et l’enfant du rêve comme Almuis. Nous retrouvons ici une contre-partie de l’histoire d’Emésu, avec une différence de forme en rapport avec la différence des religions : Almus est une incarnation païenne d’Attila ; Etienne est l’enfant de la promesse de Dieu, le petit-fils couronné que l’ange montrait

  1. « Stephanus quippe grœce, coronatus sonat latine. Ipsum quippe in hoc saeculo Deus voluit ad regni potentiam, et in futuro corona beatitudinis semper permanentis redimere… » Legend. S. Stephan.,5.