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verrons tout à l’heure les preuves, que la Collection hippocratique renferme des traités dus à des écrivains différens par le temps où ils ont vécu, leur manière d’écrire, leurs doctrines médicales ou physiologiques ; mais on y trouve certains ouvrages où se sent la main d’un homme de génie, où l’on découvre une unité de doctrine et de composition qui peut ne les faire attribuer qu’à un seul et unique grand médecin. C’est ce grand médecin qu’il nous faut admirer, qu’il se soit ou non appelé Hippocrate, qu’il soit né à Cos ou à Athènes, que ce soit de lui ou d’un autre que Platon ait parlé, que ce soit son aïeul ou lui-même qu’Artaxerce ait appelé chez lui. Négligeons donc un peu sa personne pour ses doctrines, et ne nous arrêtons que sur quelques points de biographie trop célèbres pour être omis.

Soranus raconte qu’Hippocrate est venu à Athènes lors de la grande peste, accompagné de son gendre et de son fils. Il avait quitté sa patrie après l’incendie de la bibliothèque de Cos, dont on l’accuse, quoiqu’il n’y eût pas alors de bibliothèques et qu’Aristote ait eu le premier l’idée de réunir des livres. Il était venu s’établir en Macédoine. C’est là qu’il guérit le roi Perdiccas à d’une phthisie dont seul il reconnut la cause, — l’amour du prince pour Phila, concubine de son père. Malheureusement, et cela jette bien des doutes sur cette histoire, Erasistrate avait déjà eu la même aventure ; il avait découvert l’amour d’Antiochus pour sa belle-mère Stratonice en lui tâtant le pouls devant elle. Hippocrate ne pouvait employer ce moyen, puisqu’il ne connaissait pas la sphygmologie, mais cette coïncidence est fâcheuse pour la confiance que les biographes bienveillans voudraient accorder à Soranus. Les Arabes même ont raconté une histoire analogue d’Avicenne, qui lui aussi, dit-on, avait brûlé la bibliothèque du prince Nouh-ben-Mançour, afin de posséder seul les connaissances qu’il y avait puisées. De Macédoine, Hippocrate se rendit en Grèce. Il y annonça la peste et vint à Athènes pour préserver les habitans. Ce voyage en Attique n’est pas prouvé, et l’on ne sait guère quelle est cette épidémie. La Collection hippocratique renferme, il est vrai, deux pièces qui attesteraient la réalité du voyage, mais elles passent pour apocryphes. L’une est un discours de Thessalus, fils d’Hippocrate, qui, voulant détourner les Grecs de détruire la citadelle de Cos, rappelle les services rendus par son père ; l’autre est un décret des Athéniens décernant des honneurs au médecin qui les a sauvés. On ne connaît guère cependant d’autre épidémie à Athènes que la peste décrite par Thucydide. Or Thucydide ne parle pas d’Hippocrate, et, suivant son récit, la peste envahit la Grèce en l’année 428, Hippocrate n’aurait eu alors que trente-deux ans, sa réputation n’aurait pu être aussi grande que le dit Thessalus, il n’aurait surtout pas eu deux fils et un gendre médecins. C’est là une