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C’est cette théorie que je voudrais exposer. Jusqu’ici, elle n’a servi que par morceaux à appuyer la doctrine de quelques médecins qui ont cru faire triompher leurs idées en invoquant un grand nom ; on l’a rarement développée dans son ensemble. Pour plus de simplicité, je m’occuperai successivement des idées d’Hippocrate sur les quatre sciences qui composent la médecine : l’anatomie, la physiologie, la thérapeutique et la pathologie. Je tâcherai d’exposer ce qu’il savait de ces quatre sciences, comme je le comprends après la lecture des huit volumes de M. Littré, sans analyser chaque traité séparément, car aucun d’eux n’est complet et ne traite un point de doctrine, comme nous le concevons aujourd’hui. M. Littré a justement remarqué que les anciens présentaient leurs théories tout autrement que nous. Leurs raisonnemens ne se suivent que dans les idées et non pas dans les mots ; aussi une assez grande habitude les rend seule compréhensibles. Les modernes au contraire raisonnent à la fois avec les idées et avec les mots, et leurs déductions sont bien plus faciles à saisir.

Les superstitions des anciens s’opposaient à la dissection des cadavres et arrêtèrent les progrès de l’anatomie. Vésale, au XVIe siècle, était encore obligé de cacher ses études et craignait de commettre un sacrilège. Il y a deux cents ans à peine, les occasions de disséquer étaient rares. La police en restreignait la permission. On ne s’attend donc pas à trouver dans la collection beaucoup de notions anatomiques. Il était d’usage d’enterrer les morts sans retard, et une loi dont parle Antigone dans une tragédie d’Euripide ordonnait de traiter les morts honorablement et de les ensevelir dans les vingt-quatre heures. L’ignorance cependant n’était pas aussi grande qu’on l’admet d’ordinaire. Soit que ces lois n’aient pas toujours existé, soit qu’elles fussent mal observées, il semble certain qu’Hippocrate devait avoir disséqué autre chose que des animaux et observé le corps humain plus souvent et mieux que ne le permettaient les blessures de quelques soldats. M. Littré et M. Daremberg ne paraissent pas avoir insisté sur ce point. Hippocrate connaissait l’ostéologie, dans presque tous ses détails. Il nomme et décrit tous les os du crâne et presque tous ceux du squelette. Ce que l’on connaît des Sentences cnidiennes prouve que la myologie ou l’anatomie des muscles n’était pas entièrement inconnue. À chaque instant, on trouve dans la collection des comparaisons entre l’anatomie humaine et l’anatomie des animaux, des différences ou des analogies signalées. Dans les Épidémies, l’intestin de l’homme est comparé à celui du chien ; dans le traité de la Maladie sucrée, le cerveau et la pie-mère sont assez bien décrits ; dans d’autres, la distribution des vaisseaux, les articulations sont exposées ; dans le traité des Chairs, le cristallin de l’homme est comparé à celui des animaux. L’auteur du traité des