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qu’au jour fixé pour cela, et avec la personne qu’on lui désigne. Toute la famille, y compris M. Hansteen, en voulait beaucoup à la svacha d’avoir décidé cette malencontreuse union. Après que le mariage eut été célébré par le pope, le pauvre Xavier revint à la maison, portant les obras, le pain et la salière qui devenaient dès lors la propriété de la jeune femme. Le soir, il y eut un repas chez les nouveaux mariés. Tous les témoins y assistaient, et Xavier servait à table. Irrité contre la svacha, il se vengea à sa façon en la servant la dernière, ce qui indigna fort la vieille entremetteuse, très entiché de l’importance de ses fonctions, et habituée, à ce qu’il paraît, à des procédés plus respectueux. « Tu mériterais bien que je t’appliquasse un soufflet, » lui dit-elle avec une colère bouffonne qui fit sourire plus d’un spectateur malgré les émotions du moment. Xavier ne se troubla pas, il continua gravement son service, et, le repas fini, s’approchant de la svacha  : « Tu m’as menacé d’un soufflet, dit-il, c’est toi qui as mérité d’en recevoir un, et tu ne l’attendras pas longtemps. » Aussitôt dit, aussitôt fait. La svacha était folle de fureur. Déjà très mécontente du marié, qui n’avait pas reconnu ses services assez libéralement, très irritée aussi de la tristesse et de la mauvaise humeur de l’assemblée, elle sortit violemment en jetant à Xavier des injures et des imprécations. Quelques jours après, la jeune femme vint voir son ancienne maîtresse, et celle-ci lui ayant demandé ce que devenait son mari : « Ah ! c’est fini, répondit-elle, il ne s’en relèvera jamais ! La svacha est furieuse contre lui parce qu’il l’a mal payée, elle lui a enlevé la parole. » Elle croyait très sérieusement que la svacha, pour se venger, avait ensorcelé son mari. « Les Russes, ajoute M. Hansteen, sont naturellement très vifs et très bavards ; garder le silence en compagnie, c’est pour eux la chose impossible. Les allures de ce mari taciturne ne pouvaient donc s’expliquer pour la jeune femme que par une influence malfaisante : et quelle douleur était la sienne, quand elle comparait ce mutisme opiniâtre avec la gaieté de l’honnête Xavier, qui avait toujours sur les lèvres quelque vive et spirituelle repartie ! »

Tout ce qui intéresse la question du mariage attire nécessairement l’attention du voyageur en ces contrées lointaines, dont les mœurs ressemblent si peu aux nôtres. C’est surtout à propos de ces actes, si importans dans la vie de l’homme, que se révèlent le mieux l’esprit d’une société et le caractère d’une religion. M. Hill, en parcourant aussi la province de Tobolsk, a fait des observations qui complètent les peintures de M. Hansteen. Il ne s’agit plus du mariage des gens du peuple, il s’agit au contraire d’une classe privilégiée qui n’a pas besoin de l’entremise de la svacha. On sait que la religion gréco-russe, semblable sur ce point au protestantisme, dont elle s’éloigne par tant de différences profondes, permet aux popes