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dans les écrits de ses défenseurs. Ceux qui ne veulent pas sortir de l’église pour se jeter dans l’incrédulité ou le papisme, ceux qui, tout en restant bons protestans, ont l’intelligence trop ouverte pour ne pas reconnaître qu’il y a dans l’air une foule d’aspirations, de sentimens et de désirs que l’orthodoxie et les trente-neuf articles ne peuvent ni satisfaire ni apaiser, sont obligés de faire les plus singuliers compromis avec l’esprit du siècle, et s’épuisent en efforts pour concilier les tendances nouvelles avec la doctrine qui leur est chère. Le plus remarquable de ces anglicans libéraux a été dans ces dernières années l’excellent M. Charles Kingsley, recteur d’Eversley et auteur de divers écrits intéressans dont nous avons parlé ici même[1]. Dans un livre intitulé Yeast (choses en fermentation), il a décrit cette situation morale de l’Angleterre sortant peu à peu de ses croyances traditionnelles, oubliant ses institutions nationales, et flottant du papisme à l’incrédulité rationaliste. Dans la préface de ce livre incomplet et confus, mais où se laisse mieux apercevoir que dans les autres la pensée de l’auteur sur son temps, M. Kingsley revendique hautement la qualification d’anglican. Mentiris impudentissme, dit-il d’avance aux lecteurs et aux critiques qui l’accuseraient de ne point croire aux doctrines de l’église dont il est membre. Du fond de sa paroisse, il multiplie les polémiques. Il se bat vaillamment contre tous les ennemis du christianisme ou contre ses tièdes amis, contre Shelley, contre Emerson, contre l’école d’Alexandrie, contre les ariens et les sceptiques, en un mot contre tous les vieux ennemis sous des formes nouvelles, ainsi qu’il les appelle lui-même. Et cependant, ô contradiction ! cet ardent polémiste chrétien est imbu de l’esprit et des idées de Carlyle ; c’est du style de Carlyle qu’il se sert pour combattre Emerson, les alexandrins et tutti quanti, c’est au moyen des idées de Carlyle qu’il fait l’apologie du protestantisme anglican ; il s’intitule lui-même socialiste chrétien. Il est anglican, et il sort à chaque instant de l’orthodoxie !

Telle est la situation de l’église anglicane : c’est l’institution la plus menacée de toutes les institutions de la vieille Angleterre. Les défauts et les faiblesses de l’aristocratie traditionnelle, qui subit en ce moment la loi imposée à toutes les choses humaines, qui vieillit et périclite, et ne présente plus le même ensemble imposant de grandes intelligences et de grands caractères qu’autrefois, ces défauts commencent aujourd’hui à frapper tous les yeux. L’aristocratie néanmoins n’a pas encore été attaquée en principe ; on lui a reproché ses fautes politiques, son exclusivisme de caste ; on s’est élevé avec

  1. Voyez, sur les romans de M. Kingsley, les livraisons du 1er mai 1851 et du 16 février 1852.