Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur Bordeaux. L’effet de cette rencontre fut, comme il aurait été naturel de le prévoir, de resserrer des liens que l’absence seule pouvait rompre. À cette époque, Mazarin était déjà parti pour les Pyrénées, et ce fut à Saint-Jean-de-Luz qu’il apprit avec une vive anxiété et la déplorable condescendance de la reine et les conséquences qu’elle avait provoquées. Engagé depuis plusieurs mois dans une négociation sur laquelle l’univers avait les yeux, il se pouvait voir exposé au reproche d’avoir indignement joué la cour d’Espagne, avec laquelle il aurait traité du mariage de son maître en entretenant dans son cœur la pensée d’une infâme et égoïste trahison. Les lettres qu’il recevait chaque jour de la reine, de Mme de Venel, gouvernante de ses nièces, du secrétaire d’état Letellier et de ses agens au dehors, et qui toutes portaient le témoignage de la passion du roi et de la publicité que celle-ci avait acquise, plongeaient le ministre dans des tristesses qui plus d’une fois touchèrent au désespoir. Il n’est guère de page de sa volumineuse correspondance qui ne retrace la saisissante peinture de ces douloureuses perplexités.

« Les lettres de Paris et de Flandre et d’autres endroits disent que vous n’êtes pas connaissable depuis mon départ, que vous êtes en des engagemens qui vous empêcheront de donner la paix à la chrétienté et de rendre vos sujets et vos états heureux par le mariage, et que si, pour éviter un si grand préjudice, vous passez outre à le faire, la personne que vous épouseriez sera très malheureuse, sans être coupable. On dit que vous êtes toujours enfermé à écrire à la personne, et que vous passez plus de temps à cela que vous ne faisiez à lui parler quand elle était à la cour ; on ajoute que j’en suis d’accord, et que je m’entends en secret avec vous, vous poussant à ces choses pour satisfaire mon ambition et pour empêcher la paix. On dit que vous êtes brouillé avec la reine, et ceux qui en écrivent en termes plus doux disent que vous évitez, autant que vous pouvez, de la voir. J’apprends aussi, par les avis que j’ai de La Rochelle, que vous n’oubliez rien pour engager tous les jours la personne de plus en plus, l’assurant que vos intentions sont de faire des choses pour elle que vous savez qui ne se doivent pas, et qu’aucun homme de votre état ne pourrait en être d’avis, et enfin qui sont par plusieurs raisons entièrement impossibles.

« Plût à Dieu que, sans contester votre réputation, vous pussiez vous ouvrir de vos pensées à d’autres ; car par ce qui vous serait dit depuis le premier jusqu’au dernier de votre royaume, vous seriez au désespoir de les avoir eues, et je ne me verrais pas dans le plus pitoyable état où j’aie jamais été, étant accablé de douleur, ne pouvant dormir un seul moment et en un mot ne sachant ce que je fais, ce qui est à un ici point que, quand je voudrais passer sur