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toutes sortes de considérations pour vous servir, je n’aurais pas l’esprit pour le faire en l’assiette qu’il est avec sujet, ni pour vous rendre un aussi bon compte de vos affaires, comme j’ai fait jusqu’à présent. C’est pourquoi je vous dis hardiment qu’il n’est plus temps d’hésiter, et quoique vous soyez le maître, en certain sens, de faire ce que bon vous semble, néantmoins vous devez compte à Dieu de vos actions pour faire votre salut, et au monde pour le soutien de votre réputation ; car quelque chose que vous fassiez, il en jugera, selon que vous lui en donnerez occasion[1]. »

« Je commencerai par vous dire, sur le point de votre lettre du treizième, qui regarde les bons sentimens que la personne a pour moi, et toutes les autres choses qu’il vous a plu me mander à son avantage, que je ne suis pas surpris de la manière dont vous m’en parlez, puisque c’est la passion que vous avez pour elle qui vous empêche de connaître ce qui en est, et je vous réponds que sans cette passion vous tomberiez d’accord que cette personne n’a nulle amitié pour moi, qu’elle a au contraire beaucoup d’aversion, parce que je ne la flatte pas dans ses folies, qu’elle a une ambition démesurée, un esprit de travers et emporté, un mépris pour tout le monde, nulle retenue dans sa conduite, qu’elle est plus folle qu’elle n’a jamais été depuis qu’elle a eu l’honneur de vous voir à Saint-Jean-d’Angély, et qu’au lieu de recevoir de vos lettres deux fois par semaine, elle en reçoit à présent tous les jours. Vous verriez enfin qu’elle a mille défauts et pas une qualité. Vous témoignez en votre lettre de croire que l’opinion que j’ai d’elle procède des mauvais offices qu’on lui rend ; est-il possible que vous soyez persuadé que je sois habile et pénétrant dans les grandes affaires, et que je ne voie goutte dans celles de ma famille ?… Si je suis si malheureux que la passion que vous avez vous empêche de connaître la vérité, il ne me restera plus qu’à exécuter le dessein que je vous écrivis déjà de Cadillac et à quitter la France ; car enfin il n’y a puissance qui me puisse ôter la libre disposition que Dieu et les lois me donnent sur ma famille, outre que mon honneur, — Jésus-Christ, qui est le modèle de l’humilité, disait qu’il ne donnerait son honneur à personne, honorem meum nemini dabo[2], — m’oblige à ne pas différer davantage à faire ce qu’il faut pour sa conservation… Il est temps de vous résoudre et de déclarer votre volonté, sans aucun déguisement ; car il vaut mieux tout rompre et continuer la guerre, sans se mettre en peine des misères de la chrétienté, que d’effectuer ce

  1. Le cardinal Mazarin au roi. Lettre de Cadillac, 10 juillet 1659.
  2. N’en déplaise au cardinal, Jésus-Christ n’a jamais rien dit de pareil, et ceci est sans doute une paraphrase plus que libre d’un texte d’Isaïe : Gloriam meam alteri non dabo. 48, 11.