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avantage qu’il en pût retirer[1]. » Quoi qu’il en soit, secondé par les expédiens du surintendant Fouquet, Mazarin satisfit nos vieux alliés. Il se résolut aussi, après des débats qui faillirent provoquer une rupture avec les états-généraux, à payer aux Hollandais la rançon d’une quantité considérable de bâtimens marchands capturés par nos croiseurs, que la malveillance prétendait être commandités par les fonds mêmes du ministre. Enfin Mazarin reprit avec le rude soldat qui venait de faire tomber la tête du gendre de notre Henri IV une négociation qui antérieurement avait été de sa part l’objet de tentatives réitérées, mais infructueuses. Depuis la proclamation de la république d’Angleterre, le cardinal entretenait à Londres des agens secrets dont Brienne nous a conservé les rapports. M. Gentillet et M. d’Estrade, hommes d’un vrai mérite, avaient vu leurs avances repoussées par le flegme hautain du protecteur et avaient dû quitter le sol britannique ; mais lorsque Cromwell se fut pris à délibérer plus résolument avec lui-même sur la forme définitive à donner à sa puissance, quand il eut compris qu’il importait de ne point s’isoler, et que son alliance était d’un prix égal pour la France et pour l’Espagne, il écouta avec plus de complaisance les flatteuses paroles qui lui arrivaient simultanément de Paris et de Madrid.

Le cabinet de l’Escurial offrait de faire rendre à l’Angleterre la ville de Calais, cette porte de la France qu’elle avait occupée si longtemps ; celui du Palais-Royal s’engagea à conquérir Dunkerque avec le concours des flottes anglaises, et à remettre à Cromwell cette possession tant convoitée, en ne retenant pour lui que Gravelines. À cet appât, l’imagination de Mazarin joignit beaucoup d’autres séduisantes perspectives. « Nous nous prévalûmes, dit le commissaire délégué par le cardinal pour cette négociation, du désir de la nation anglaise d’avoir un pied dans les Indes, et lui faisant voir la facilité qu’elle avait d’y réussir, nous lui fîmes oublier l’étroite amitié dans laquelle elle avait vécu avec les Espagnols. Nous insinuâmes que l’espérance d’un bon commerce ne devait pas empêcher les Anglais de songer à se rendre maîtres des richesses des Indes occidentales ; ce qui fit impression sur l’esprit de Cromwell, d’autant plus qu’il voyait bien que si les Anglais n’étaient occupés, ils auraient peine à souffrir l’autorité qu’il prenait sur eux[2]. »

On voit qu’en diplomatie comme en guerre civile, le cardinal Mazarin payait très cher le succès ; peut-être même l’acheta-t-il à un prix exorbitant lorsque, pour obtenir le concours d’une flotte anglaise, il

  1. Mémoires du comte de Brienne, deuxième partie, année 1655.
  2. Ibid., année 1656.