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Paul : Oportet hœreses esse, il faut qu’il y ait des dissidens. Les catholiques, longtemps regardés comme déchus, jouissent aujourd’hui en Hollande de tous les droits civils. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, sous cette tolérance le sentiment national reste protestant. La Hollande aime la réforme religieuse comme les mères aiment l’enfant qu’elles ont engendré dans la douleur. On sait ce que les Pays-Bas ont souffert de l’inquisition espagnole. Cette page tachée du sang des martyrs est la grande page du protestantisme. On la fait lire dans les écoles de ce pays, et les enfans s’inculquent ainsi le respect de ceux qui sont morts pour l’indépendance. Les Hollandais combattaient alors pour la première des libertés, la liberté de l’âme. Pour eux, la réforme a été le bouclier de la défense nationale. Sans la foi à la justice de leur cause, on n’aurait jamais vu une poignée d’hommes s’élancer hors de leurs marais, battre un si redoutable ennemi avec de faibles moyens, et terrasser des armées qui passaient alors pour invincibles. Une petite nation qui a soutenu sans fléchir en même temps le poids de la mer et le poids de l’Espagne unie à Rome, c’est-à-dire alors de presque tout le continent, a le droit de montrer ses libertés religieuses comme un guerrier son armure. Dans plusieurs villes de la Néerlande, le catholicisme d’ailleurs n’a point été détruit: il a fini. A Utrecht, par exemple, l’évêque catholique étant mort au moment du triomphe de la réforme, on a enseveli le même jour, dans l’église du Dôme, le prêtre et le dogme. Sur la fosse entr’ouverte, le chapitre réformé entonna, en guise de De profundis, le cantique de Luther.

La Bible est en Hollande un monument national. Lorsque Louis XIVe s’empara de la ville d’Utrecht, il fit brûler sur la place de la Grande-Église tous les exemplaires des saintes Écritures qu’on put saisir : c’était comme la Hollande intellectuelle qu’on livrait aux flammes. Habitués à considérer le calvinisme comme le palladium de leurs droits et de leur existence nationale, les Hollandais combattent dans toutes les occasions pro aris et focis. La réforme religieuse s’est identifiée chez eux avec le patriotisme. A tort ou à raison, les Hollandais catholiques sont suspects aux protestans de vieille roche : leurs pieds, dit-on, sont sur le sol de la Hollande, mais leur cœur est à Rome. Ce sont des préjugés, si l’on veut; mais il est juste de reconnaître que ces préjugés ont des racines dans toute la tradition historique de la Néerlande. Quand après 1830 la Belgique s’émut et prononça le mot de séparation, la Hollande vit distinctement d’où venait la blessure. Elle reconnut la main du clergé catholique dans la révolution belge. Il y eut dans les Pays-Bas une prise d’armes protestante; le vieux Calvin frémit dans sa tombe, et tout le monde sait aujourd’hui que, sans l’intervention de la France, la Hollande aurait ressaisi les provinces du sud. Ces événemens ne contribuèrent point à réhabiliter les catholiques hollandais, qu’on accusa d’avoir vu les efforts des