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facultés éminentes, il a pensé qu’il devait les vouer tout entières à la foi catholique : c’était remercier Dieu des dons qu’il avait reçus. Une fois entré dans cette voie, il devait préférer la ferveur de l’expression à la pureté de la forme, c’est-à-dire placer Fra Angelico au-dessus du Sanzio. Que les catholiques étrangers à l’étude de la peinture lui donnent raison, je ne m’en étonne pas; qu’ils voient en lui le prince des peintres vivans, leur préférence n’a rien qui me surprenne. Je les crois de très bonne foi, mais je me réserve le droit de penser qu’ils se trompent. Croire et créer sont deux actes profondément distincts, et la croyance la plus pure n’est pas toujours celle qui enfante l’œuvre la plus belle. Fra Angelico, retiré dans le couvent de Saint-Marc, dont il décorait les murailles, était, je l’admets volontiers, un chrétien plus fervent que le Sanzio. A l’exception de sa Vierge au pied de la croix, connue sous le nom de Stabat Mater, parce qu’elle réalise admirablement les pensées exprimées par Jean de Todi dans un latin barbare, la plupart des peintures murales de ce maître pieux, à Florence du moins, sont assez mal éclairées, et s’il eût rêvé la gloire, il est probable qu’il aurait choisi un jour plus propice. La chapelle de Nicolas V, qui fait partie du Vatican, se dérobe aux louanges de la foule par son exiguïté même. C’est évidemment une œuvre de foi bien plus qu’une aspiration vers la gloire. Que le Sanzio, qui a refusé la pourpre romaine, fût un chrétien moins fervent que Fra-Angelico, peu nous importe, quand il s’agit de juger les fresques signées de ces deux noms. Le païen qui a décoré les loges et les chambres du Vatican avait une notion plus complète de la beauté que le moine de Saint-Marc, et il l’a bien prouvé.

Owerbeck a mis la foi au-dessus de la beauté. Quoiqu’il possède le sentiment instinctif de l’harmonie linéaire, il l’oublie volontiers dès qu’il s’agit de lui sacrifier l’expression religieuse. Pour tout homme désintéressé, ou plutôt pour tout homme clairvoyant, qui sépare la croyance du développement de l’imagination, il est hors de doute qu’il préfère les maîtres du XIVe siècle aux maîtres du XVe. Cependant il s’en faut de beaucoup qu’il atteigne à la naïveté de ses modèles; il sait trop pour penser et pour sentir comme eux; il croit, mais sa croyance, malgré sa ferveur, ne peut se dégager des objections et des doutes qu’elle dédaigne et qu’elle foule aux pieds. Ce n’est pas impunément que la foi catholique a traversé les luttes du XVIe siècle. Les esprits mêmes qui conservent encore comme un dépôt sacré la foi des croisés ont dans leur attitude, dans leur accent, quelque chose de militant qui ne s’adresse plus aux Sarrasins, mais à la religion réformée. Owerbeck n’a pas échappé à cette destinée commune. Il a beau croire de toutes les forces de son âme aux dogmes acceptés et proclamés par le concile de Trente, il ne lui est