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à déverser le blâme ou le ridicule sur ceux qui se livrent aux mortifications et mènent au fond des forêts la vie des ascètes. L’esprit d’agression contre les croyances et les pratiques religieuses, qui se trahit si souvent chez les écrivains de l’Europe anciens et modernes, ne se fait jour nulle part dans la littérature indienne : l’impiété n’est pas de race asiatique. La famille et les liens sacrés du mariage, si violemment attaqués dans nos pays de civilisation, et de tant de meunières, ont toujours été l’objet du plus grand respect dans la société brahmanique, où la distinction des classes établit comme une loi l’hérédité des professions. Par contre, autant la femme vertueuse, l’épouse irréprochable est honorée dans les apologues de l’Hitopadésa, autant les femmes en général (woman-kind) y sont traitées avec dédain et mépris. Quoi de moins galant que cet adage : « La fausseté, la haine, la perfidie, l’envie, la cupidité, la méchanceté et l’impudicité sont des vices innés chez les femmes ? » Voilà sept péchés capitaux mis à la charge de la plus belle moitié du genre humain par l’autre moitié. Et pourquoi ? Parce que dans la société indienne, telle que la dépeint l’auteur de l’Hitopadésa, s’est introduite la courtisane, qui ruine les fils de famille, trompe les hommes faits, et attire encore à elle ceux-là mêmes qui la maudissent, parce que la polygamie, tolérée par le brahmanisme, a fait tomber la nation hindoue au rang des peuples asiatiques corrompus et efféminés, qui perdent peu à peu leur éclat avec leurs vertus.

À la stance citée plus haut, et que l’on dirait écrite par un libertin attristé et devenu vieux, je préfère cette autre, où perce une franche gaieté, une humour de bon aloi qui en atténue la malice : « Les femmes, dit-on, mangent comme deux, ont de l’esprit comme quatre, de la malice comme six et de la passion comme huit. » On peut encore rapprocher de cette boutade la plainte de ce vieillard troublé dans son ménage par toute sorte de petites et de grandes misères : « Avoir une femme vicieuse, un mauvais ami, des serviteurs qui répliquent, et habiter une maison infestée de serpens, c’est la mort, en vérité ! » Cette courte stance ne résume-t-elle pas toutes les infortunes d’un homme à qui rien ne manque pour être heureux ? Il est riche, puisqu’il a des serviteurs ; mais ces serviteurs paresseux et gourmands ne travaillent point et répondent avec insolence. Sa compagne jalouse et grondeuse le tourmente du matin au soir ; un ami perfide courtise les plus jeunes de ses femmes et lui emprunte de l’argent qu’il ne rendra jamais ; enfin des serpens attirés par la fraîche humidité de ses jardins se glissent jusque sous ses oreillers, et lui causent des frayeurs mortelles. Que l’on retranche ce dernier, trait, qui est particulier à la nature indienne, et que l’on affuble cet homme