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dimension des figures exécutées par Haydon avait en elle seule de quoi frapper un public qui n’était pas habitué à voir fabriquer avec tant d’aisance et d’abondance des hommes et des femmes de cette taille. Cela était extraordinaire, et cela parut singulièrement beau. La majorité des spectateurs n’étaient pas capables d’apprécier ce que valaient en réalité de pareilles créations; si quelques-uns eurent des doutes et des défiances, leurs impressions restèrent confuses, et ils osèrent à peine ouvrir les yeux pour voir en plein et juger. — Et maintenant encore il s’en faut que l’illusion ait complètement cessé avec l’influence personnelle du peintre. Quoiqu’il ne soit plus là pour entretenir l’admiration générale par les fanfares qu’il sonnait en son propre honneur, ou par le bruit des coups qu’il distribuait libéralement autour de lui, sa supériorité est encore assez admise comme un article de foi pour qu’il y ait danger à la contester. Le sauvage qui a vu la civilisation et qui vient engager les siens à couvrir leur nudité se fait lapider pour son impertinente sagesse. Si pareil sort n’attend pas le critique, il s’expose, en étant un peu moins aveugle que l’opinion reçue, à s’entendre accuser de prévention et d’injustice.

Il ne nous est pas moins très difficile de préciser les nombreux défauts que nous avons à reprocher aux tableaux de Haydon. Ceux même qui sont les plus flagrans et qui sautent aux yeux à première vue, — la grossièreté vulgaire des figures et leur manque de proportions, — se réduisent, quand on veut les désigner, à quelques mots vagues comme ceux que nous venons d’employer. Nous ne serons guère plus explicite ni plus précis en disant de sa couleur qu’elle est fausse comme représentation delà réalité, grossière et outrée comme intention pittoresque. Toute critique d’art se heurte de fait au même obstacle : à l’impossibilité d’exprimer par des mots ce qui est du pur ressort des formes et des couleurs. L’écrivain qui discute un livre est à même d’éclairer et de confirmer son dire en citant les passages qu’il loue ou qu’il blâme; celui qui apprécie une peinture n’a aucune ressource analogue. Il faut qu’il se borne à parler d’une chose qui demanderait à être vue pour être connue. Faute de mieux, nous laisserons le lecteur juger du talent du peintre d’après l’impression générale que peuvent donner le caractère et la carrière de l’homme. Nous doutons que jamais les œuvres d’un ouvrier aient plus nettement reflété sa personnalité. Comme l’a dit l’éditeur de ses mémoires, « sa peinture, c’est lui; — ses tableaux pèchent par où il a péché. » — Absolument dénué de calme, sa violence et ses ardeurs incontinentes l’emportaient toujours au-delà du jugement et de la pensée. Suivant ses propres expressions, il se précipitait au travail, il lançait ses couleurs sur la toile, il enlevait une tête ou