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postes de Cosaques qui les obligent à mener une vie sédentaire. Aujourd’hui les Tonguses sont unis par des mariages à ces Cosaques d’Arki, et pas un d’eux ne songe à reprendre ses courses vagabondes.

Les Tonguses ont l’esprit ouvert, l’imagination prompte, et ils sentent vivement la nature. M. Erman traversait leur pays aux premiers jours de mai, c’est-à-dire à l’heure où les glaces se rompent et roulent vers l’Océan avec les flots délivrés du Jéniséi, à l’heure où le soleil commence à réchauffer la terre, où les neiges fondent et s’évaporent, où la steppe fait briller les prémices de la végétation nouvelle ; à voir la joie naïve des Tonguses, on se serait cru en Souabe, aux bords du Neckar, sous les chênes de la Forêt-Noire, enfin dans une de ces contrées d’Allemagne où le retour des brises printanières est comme une fête publique. Les jeunes filles et les femmes, fort peu soucieuses de leur toilette tant que l’hiver les tenait enfermées, sortaient gaiement des pauvres huttes, allaient se laver dans l’eau du fleuve dégagée de sa croûte de glace, et se paraient de leurs plus riches vêtemens pour faire honneur aux beaux jours. On voyait reparaître les habillemens tonguses ornés de perles et de plaques de métal. Les Tonguses, hommes et femmes, aiment singulièrement tout ce qui brille ; leurs caftans et leurs robes de peau de renne sont toujours couverts de broderies, de verroteries splendides, dont la disposition atteste un goût inné de l’élégance. M. Erman, qui a eu tout le loisir de voir les Tonguses dans leur vie de chaque jour en traversant les montagnes de l’Aldan, a été constamment charmé de leur douceur et de la vivacité de leur esprit. Il lui arriva plusieurs fois de se trouver au milieu d’eux sans interprète, les Tonguses le comprenaient toujours à demi-mot. Ces braves gens, avec un enjouement moitié respectueux, moitié plaisant, l’avaient surnommé le chercheur d’étoiles ; son arrivée était signalée de proche en proche à toutes les tribus éparses dans le pays qu’il allait parcourir, et le chercheur d’étoiles trouvait partout un accueil empressé.

M. Erman, qui est un savant des plus lettrés, a très bien senti la grâce de ces mœurs primitives ; il les compare à la simplicité du monde naissant, et il a toujours sur les lèvres une phrase d’Hérodote, un vers de l’Odyssée, pour peindre ses Tonguses. Il a fait plus, il a recueilli chez eux des traces de poésie populaire, entre autres la plainte d’une jeune fille séduite et abandonnée par un Russe. Il faut que ce caractère sympathique des Tonguses n’ait rien d’exagéré, car je lis dans une autre partie du récit de M. Erman que le gouverneur de Krasnojarsk, M. Alexandre Petrovitch Stepanov, écrivain de mérite et peintre fort habile de la nature sibérienne, avait composé des vers touchans pour les Tonguses de son district. Il s’adresse surtout aux tribus de la montagne, à celles qui, malgré la vivacité