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visages inquiets : les femmes étaient éplorées, les petits enfans s’accrochaient aux mères et poussaient des cris de détresse. Plus hardis, les jeunes gens, les adolescens même, aidaient à porter les meubles sur des chariots, à sauver le bétail ; on enlevait les malades. Cependant les eaux ne paraissaient pas encore. À deux heures de la nuit, on vit, au clair de la lune, la glace se dresser dans les flots qui s’avançaient. L’effroi fut universel. La blancheur des glaçons rejaillissait en une lumière électrique assez semblable à celle que dégage dans la nue un tonnerre lointain. Cet éclair de glace fut suivi d’un long et terrible craquement. Les habitans des parties les plus basses du village se réfugièrent dans les parties élevées, et surtout dans l’église : les pauvres fuyards s’y précipitèrent comme pour demander à Dieu l’hospitalité. La nuit se passa dans des angoisses inexprimables. Le lendemain, les eaux pénétrèrent dans le village ; elles envahirent successivement les rues et la grande route, qui furent sillonnées de bateaux[1]. Deux jours plus tard, la partie la plus élevée de Venhendal était atteinte, et les chaloupes passaient sur le marché comme sur un lac. Heureusement, pendant ces tristes journées, le ciel resta calme : si le vent eût soufflé, un quart de la province eût été emporté.

À la suite de tels bouleversemens de la nature arrive un fléau plus triste encore, la faim. Les malheureux qui s’étaient réfugiés dans l’église de Venhendal manquaient de vivres. Des caravanes de femmes, d’enfans, de vieillards, erraient silencieuses et sombres autour du théâtre de l’inondation, cherchant la terre ferme et un toit pour s’y reposer de leurs fatigues. Par suite de l’entassement de toutes ces misères humaines dans les granges, des maladies commençaient à se déclarer. Cinq cents des plus pauvres habitans de Venhendal furent alors dirigés, par les ordres du roi, sur la ville d’Utrecht[2]. Une vieille église de cette ancienne cité avait été disposée pour les recevoir. Les dons affluèrent : on envoyait du linge, des habits, de l’argent. Une commission, qui s’était formée volontairement, recevait les offrandes et dirigeait le service : elle se montra constamment intelligente pour le bien et supérieure aux difficultés. Nous visitâmes les pauvres inondés de Venhendal dans leur église, à l’heure du repas qu’ils prenaient en commun, autour de tables très simples, mais proprement et abondamment fournies. La figure de ces malheureux respirait un air d’indifférence et même de joie qui contrastait avec leur triste condition. La vérité est que quelques-uns

  1. Les habitans de Venhendal, comme d’ailleurs beaucoup de paysans néerlandais, se servaient, en temps ordinaire, de barques pour transporter les engrais et les produits de la terre.
  2. Une moitié du village dépendre la province d’Utrecht et l’autre de la Gueldre.