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nombre de propriétaires ; mais je crains bien que le sacrifice ne soit forcé dans tous les cas, et qu’il n’y ait pas moyen d’y échapper. J’ajoute que ceux qui prendront ce parti trouveront une compensation dans l’augmentation du capital, et par suite du revenu ultérieur, tandis que ceux qui ne voudront ou ne pourront pas le prendre perdront sur leur revenu présent sans compensation dans l’avenir.

Il y a, il est vrai, un autre remède qui peut aussi être employé dans une certaine mesure, le défrichement ; mais la législation actuelle y met un obstacle au moins apparent, et d’un autre côté, au point où nous en sommes, le défrichement est rarement une opération avantageuse. Partout où il y a profit réel à défricher, c’est évidemment ce qu’il y a de mieux à faire ; le profit est-il réel ? voilà la question. Même en admettant l’avilissement constant du combustible végétal, combien d’hectares de bois peuvent être aujourd’hui défrichés avec profit ? Peut-être un sur cent, presque tous les terrains aujourd’hui en bois étant mauvais en eux-mêmes ou trop éloignés des populations, et cette opération, même quand elle est bonne, exige bien d’autres capitaux et bien d’autres soins qu’une simple prolongation dans l’aménagement.

On croit assez généralement qu’il est toujours plus avantageux à l’intérêt privé d’exploiter les bois en taillis qu’en futaie. Je ne suis pas convaincu que cette opinion soit d’une vérité absolue, surtout quand il arrive, comme aujourd’hui, que le prix des bois de feu baisse et que celui des bois d’œuvre s’élève. Dans les terrains où les arbres arrivés à un certain âge s’arrêtent et dépérissent, il est bien évident qu’on n’a pas le choix. La question des débouchés mérite aussi une grande considération. Si la propriété forestière est placée sur un point où les bois de feu sont recherchés et payés un prix élevé, l’exploitation des taillis l’emporte encore ; mais sur un sol propre à la végétation des grands arbres, dans de bonnes conditions de débouché, et quand on a le moyen d’attendre, la futaie peut être aussi avantageuse à l’intérêt privé qu’à l’intérêt public, fin elle-même, la supériorité de production n’est pas douteuse. Par l’aménagement en taillis, on obtient en moyenne 25 francs de produit brut par hectare ; avec l’aménagement en futaie, on peut arriver et on arrive sur beaucoup de points à 100 francs, c’est-à-dire quatre fois plus. La différence de produit net peut être plus sensible encore, car il faut retrancher un tiers environ sur le produit brut des taillis pour les frais d’impôt, de garde et d’exploitation, tandis qu’il suffit de beaucoup moins pour les futaies. Ceci ne peut être nié par personne ; la contestation n’est possible que sur un autre point de la question, le calcul des intérêts composés.

Ici la futaie succombe évidemment, si l’on compte l’intérêt à 5 pour 100. Quelque puissante que soit la végétation des arbres, elle ne tient