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contribuent même à aggraver le mal qu’ils prétendent guérir. Si cette mesure avait quelque valeur, elle tendrait à multiplier les taillis, dont nous avons trop, et, par la dépréciation générale de la propriété forestière, à diminuer les futaies, dont nous n’avons pas assez, elle maintiendrait des forêts en plaine, qui pourraient être avantageusement transformées en prairies ou en terres arables, et empêcherait ainsi, par la concurrence des bois mieux situés, le boisement des montagnes et des terres stériles en général. Heureusement elle est à peu près sans effet, et le mal réel qu’elle produit se renferme dans des limites assez étroites.

Il est assez naturel de confondre l’étendue, d’une culture avec son produit ; rien n’est pourtant plus différent. Il peut très bien arriver que plus on cultive de blé, moins on en récolte ; un hectare bien fumé et bien travaillé en vaut dix négligés. Un hectare de beaux et bons bois peut à son tour rapporter plus que cent hectares de mauvaises broussailles. On tombe, à propos des bois, dans la même erreur qu’on commettait autrefois pour d’autres cultures. Il n’y a pas beaucoup plus de cent ans qu’il était interdit de planter des vignes sans autorisation. On voulait par là maintenir une plus grande surface en céréales. Qu’arrivait-il de cette règle et de beaucoup d’autres imaginées dans la même intention ? Depuis qu’on a la liberté de faire de son champ ce qu’on veut, on produit un peu plus de vin, mais on produit en même temps quatre fois plus de blé, et on en récolterait encore davantage, si l’on en cultivait moins. Il se peut que l’étendue des forêts soit un jour réduite sensiblement, la production du bois n’en souffrira pas, au contraire ; la transformation ne se fera d’ailleurs que peu à peu, en proportion des besoins et des ressources.

On cite toujours ce qui s’est passé de 1791 à 1801 : de 4 à 500,000 hectares de bois ont disparu dans ces dix années, et on attribue cette destruction à la liberté de défrichement décrétée par l’assemblée constituante ; mais il est à peine nécessaire de remarquer qu’il est question ici de la période révolutionnaire ; ce n’était pas du défrichement, mais de la dévastation pure et simple. Bien d’autres pertes plus graves ont affligé notre pays dans ces temps néfastes. Les forêts passaient pour un reste du régime féodal ; on les détruisait, non par calcul, mais par fureur.

Dès que la nation a recouvré son bon sens, tout a changé. Depuis cinquante ans, on a défriché en moyenne de 10 à 12,000 hectares par an, mais on a planté en même temps une étendue équivalente, soit en nouveaux bois, soit dans les clairières des forêts existantes, de sorte que l’étendue boisée n’a pas changé. M. le comte Beugnot, dans son excellent rapport à l’assemblée nationale, a mis