Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1025

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le public, au début de la pièce, a paru lui donner raison. M. Laya, esprit modeste, en traitant avec gaieté une donnée qui n’est pas neuve, n’a pas eu l’intention de soulever des questions imprévues : il a voulu amuser, je ne crois pas que son ambition s’élève plus haut. Quant, à M. Legouvé, malgré ses habitudes studieuses, qui l’ont poussé dans des voies très diverses, il n’a pas impunément travaillé à plusieurs reprises avec M. Scribe. Après Adrienne Lecouvreur et les Contes de la reine de Navarre, comment retrouver son indépendance ? Par droit de conquête ne prétend pas à la nouveauté, et c’est à l’absence même de nouveauté que cet ouvrage a dû la meilleure partie de son succès. Quelque bienveillance que m’inspire le caractère laborieux de l’auteur, je suis obligé de reconnaître que les applaudissemens qu’il a recueillis ne s’adressent pas à la donnée de sa pièce, et que les personnages destinés au développement de cette donnée n’occupent pas le premier rang dans sa comédie. À quoi bon pourtant parler de ces quatre ouvrages, si l’on se borne à les caractériser, si l’on n’essaie pas de généraliser les questions particulières qu’ils soulèvent ? La critique, réduite à ces mesquines proportions, ne serait plus qu’une besogne de greffier.

Quel doit être au théâtre l’emploi de l’histoire ? L’école poétique de la restauration n’avait pris dans le passé que le côté qui s’adresse aux yeux. Elle charmait par l’éclat des décorations, par la variété des costumes ; seulement elle sacrifiait la partie humaine, la partie permanente, à la partie passagère et locale, et c’est pour avoir persévéré dans ce sacrifice, condamné par le bon sens et le goût, qu’elle a vu ses œuvres oubliées au bout de quelques années. Aujourd’hui les écrivains qui mettent l’histoire au théâtre, ou qui du moins donnent à leurs personnages des noms historiques, ce qui n’est pas exactement la même chose, suivent une autre méthode : ils s’attachent aux anecdotes, aux pamphlets, et s’évertuent à nous montrer les coulisses de l’histoire. Cette méthode ; pourrait recevoir d’heureuses applications, si les écrivains qui l’ont adoptée savaient se contenir dans de justes limites, s’ils consentaient à mettre l’histoire authentique, l’histoire avérée, en regard des anecdotes plus ou moins controversées. Dès qu’ils suppriment l’histoire authentique pour ne mettre en scène que des anecdotes, la confiance s’évanouit, et l’intérêt languit. C’est à cette cause qu’il faut attribuer le sort de la Czarine et du Gâteau des Reines.

Deux nations en Europe ont dramatisé l’histoire avec un plein succès, l’Angleterre et l’Allemagne ; je ne parle pas de l’Espagne, chez qui la fantaisie paralyse trop souvent l’étude du passé. Dans cette question délicate, nous devons négliger l’avis de Calderon. Shakspeare et Schiller sont les seuls dont l’autorité pèse dans la balance.