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temps ainsi qu’avec les forces morales et matérielles de son pays, tel fut le problème que Nicolas entreprit de résoudre, et qui pèse encore sur les destinées de la Russie. Le successeur d’Alexandre arrivait au trône à travers une conspiration dans laquelle, de près ou de loin, directement ou indirectement, avait trempé toute la haute noblesse russe. Il attribua, non sans raison peut-être, à la mollesse du gouvernement précédent cet audacieux effort, ce complot à la fois puéril et formidable, où l’on avait débattu avec un étrange sang-froid l’extermination de la famille impériale et rétablissement de la république[1]. Il se traça dès lors un plan de conduite qu’après un règne de près de trente ans des résultats nombreux permettent d’apprécier. À ce plan, fidèlement suivi par l’empereur Nicolas, deux ordres de questions se rattachent, — les unes particulières à la Russie, les autres intéressant l’Europe. Vis-à-vis de la Russie, Nicolas se donna deux tâches : — contenir la noblesse par la crainte et par les faveurs, en la privant de toute influence politique et en l’abandonnant au dissolvant naturel de la loi du partage des successions[2] ; introduire dans l’administration toutes les réformes d’une exécution facile et n’atteignant pas les prérogatives autocratiques. Vis-à-vis de l’Europe, l’intérêt du pouvoir impérial était : — d’annuler l’influence que les idées étrangères pouvaient exercer en Russie, — par conséquent de proscrire sévèrement dans la presse, dans l’enseignement et dans les mœurs toute tentative pour importer ou faire circuler certaines doctrines de liberté politique ou d’indépendance privée ; — d’empêcher les voyages et les séjours de la noblesse russe hors de l’empire, de lui fermer surtout les régions qui jouissent de cette liberté politique ou de cette indépendance d’esprit regardées à juste titre comme incompatibles avec le système des tsars. Au fond, ce plan impliquait trois choses, l’affaiblissement de la noblesse, le maintien du servage, la guerre. L’empereur, pour affaiblir la noblesse, s’interdisait les largesses d’âmes ; mais, pour compenser son annulation politique, il se condamnait à ne pas soulever la question de l’affranchissement. Puis,

  1. C’est le gouvernement lui-même qui révéla les plans de 1825 dans le Rapport de la Commission d’enquête qui fut imprimé en français à Saint-Pétersbourg (1826). L’affaire fut instruite et jugée à huis-clos, sans qu’aucun accusé pût se procurer un défenseur ni communiquer avec un parent ou un ami. Les conspirateurs de 1825 furent exécutés dans l’ombre et le silence. On dit que l’empereur en interrogea lui-même quelques-uns, et l’impression qu’il garda de leur langage a certainement exercé nue grave influence sur tout son règne.
  2. L’action de ce dissolvant ne devait être aidée par aucune mesure agressive, mais en même temps elle ne devait point être ralentie par des largesses d’âmes, et l’empereur, s’abstenant de donner des serfs aux nobles, devait ne rien négliger pour accroître le nombre des serfs de la couronne.