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d’admiration. L’évaluation impériale représentait une dépense annuelle de 54 francs 76 centimes par homme !

Évidemment les données récemment fournies par M. Tegoborski sont plus admissibles que les calculs dont nous venons de signaler les nombreux désaccords. D’après ces données, c’est une dépense quotidienne de 1 franc 10 centimes par homme qui devrait servir de base aux évaluations générales sur les dépenses de l’armée russe. Même en admettant qu’il y ait là encore quelque exagération intéressée, on peut sans difficulté accorder ce fait : que l’armée russe est plus nombreuse et moins coûteuse que celle d’aucun état de l’Europe. Reste à examiner quelle est sa valeur morale ; mais en présence des événemens qui se poursuivent, cet examen est-il nécessaire, et des résultats considérables n’ont-ils pas déjà répondu ? Tant que l’armée russe a rencontré devant elle soit des populations asiatiques, comme en Perse, soit des insurgés très inférieurs en nombre, en matériel de guerre et en ressources financières, comme en Hongrie et en Pologne, la lutte a dû se terminer à son avantage ; mais en présence de nations civilisées, la supériorité du nombre ne peut tenir lieu de cette autre supériorité qu’assure l’intelligence appliquée à l’art militaire, ainsi qu’au perfectionnement des armes et des engins de guerre. L’armée russe a beau être nombreuse et pourvue d’un puissant matériel, elle a beau porter devant l’ennemi une résignation, une persévérance proportionnées aux plus rudes épreuves : la loi qui a toujours fait prévaloir la force intelligente sur la force aveugle, — les Anglais sur les Afghans, les Français sur les Arabes, les Russes eux-mêmes sur les Persans, — cette loi trouve dans la lutte actuelle une nouvelle occasion de s’appliquer, et la Russie doit regretter dès ce moment d’avoir provoqué une si éclatante expérience.

Outre l’armée, la Russie a, nous le savons, deux forces défensives dont il faut tenir compte : le climat et les distances. Contre la guerre d’invasion, ce sont là, sans contredit, des armes redoutables ; mais l’empire n’en a pas moins ses parties vulnérables, que la guerre maritime est surtout appelée à découvrir, et dont elle a déjà su atteindre quelques-unes. Il reste donc établi que la puissance militaire de la Russie, même avec la supériorité du nombre, même avec un entretien des moins coûteux, reste encore inférieure à la tâche gigantesque pour laquelle l’ambition des tsars l’a désignée.

La puissance militaire n’est pas la seule base du système autocratique appliqué à la conquête : la puissance financière a aussi sa place à tenir dans ce grand effort. Nous devons donc examiner les ressources de la Russie en argent, comme nous venons de compter ses ressources en hommes. Cette partie de notre étude est facilitée par des travaux dont les lecteurs de la Revue n’ont pas certainement