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de plus en plus onéreuses pour le public payant constituent une véritable aggravation de l’impôt. Ne pas tenir compte de cette circonstance des contrats aggravés, c’est, nous le répétons, commettre une grande erreur. Cela est évident pour qui sait qu’avant la période de 1839-53, le produit annuel de la ferme des boissons n’avait pas dépassé 200 millions, et qu’il s’est élevé (d’après les évaluations de M. Tegoborski) à 328 millions pendant cette période. Répondra-t-on qu’au renouvellement des contrats, le gouvernement n’a pas haussé le prix de vente de la boisson ? C’est possible, mais l’exhaussement du prix de vente n’était pas le seul moyen qui s’offrît d’aggraver l’impôt. Il en est d’autres que le gouvernement russe a adoptés. L’on va voir s’il est permis de le contester et si l’accroissement du produit obtenu sur cet article principal des recettes du pays signifie autre chose que l’exploitation odieuse d’un vice qui exerce la plus triste influence sur l’état moral du peuple russe.

L’impôt sur les boissons existe dans maint état civilisé. On ne saurait donc être choqué de voir un des chapitres du budget misse porter ce titre : impôt des boissons. Malheureusement l’analogie n’est ici que dans les mots. En Angleterre et en France, cet impôt s’applique plutôt à des boissons alimentaires, le vin, la bière et le cidre, qu’à des boissons enivrantes et fortement alcoolisées. D’ailleurs, puisqu’il en élève le prix et en gêne la circulation, on ne saurait lui reprocher de favoriser l’ivrognerie. Si ce vice existe, c’est malgré l’impôt, et non par lui. En Russie, il n’existe d’autre boisson alimentaire que le kvass, espèce de bière fabriquée dans les ménages au moyen de farine fermentée et non soumise à l’impôt. Quant à l’eau-de-vie russe appelée vodki, c’est le produit de la distillation du grain, et quoiqu’elle soit beaucoup moins chargée d’alcool que l’eau-de-vie de France, elle n’en constitue pas moins une liqueur enivrante, dont l’usage habituel devient mortel pour le corps, et agit non moins tristement sur l’esprit, sur les mœurs populaires. Le privilège exclusif de la fabrication et du débit de cette odieuse boisson est payé à l’état par les traitans ou fermiers au prix annuel, pour tout l’empire, de 328 millions de francs (chiffre de 1853). Dans ces compagnies fermières sont intéressés, à titre d’actionnaires, une foule de gentilshommes ou seigneurs qui en retirent de grands profits. Ces bénéfices sont d’autant plus élevés, que le débit de l’eau-de-vie est plus considérable. Les compagnies se trouvent donc directement intéressées à favoriser et à propager les habitudes d’ivrognerie dans toutes les classes de consommateurs. L’état s’y trouve intéressé lui-même, puisqu’il chaque renouvellement des contrats de ferme il élève les prix de concession en proportion du gain réalisé par les compagnies pendant la période expirée, c’est-à-dire en raison de l’accroissement