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demain tu donnes un grand dîner. Prépare-toi à faire des merveilles. À ton lever, tu partiras pour Lamanosc, tu imiteras de ma part le maire, le notaire, le curé, le garde général, tout le monde. Tu enverras un exprès à M. Dulimbert… Allons, pas de raisons, pas de réplique.

La Zounet lui jeta un regard moqueur et sortit en murmurant : — Oui, oui, un gala pour demain ! Où notre pauvre monsieur a-t-il donc la tête ? lu jour de lessive, des galas, qu’il y compte !

Le lendemain, à son réveil, le lieutenant s’informa du menu.

— Des pois-chicHes, cria la Zounet, des pois-chiches pour hors-d’œuvre, des pois-chiches pour entremets, pour relevé de table, pour gibier, pour poisson, pour salade, pour dessert, entendez-vous ? Tout votre dîner est dans la marmite. M. le maire peut amener ses chiens pour lécher les plats, ils s’en retourneront cette fois avec le ventre à l’espagnole ! Croyez-vous donc que je les aie invités, tous ces piqueurs d’assiette ? Ah ! oui ! Me prenez-vous pour une folle ? A-t-on jamais cuisiné un jour de lessive ? Que dirait Mlle  Blandine ?

Le lieutenant se soumit, il n’y avait rien à répliquer. Les jours de lessive, la Zounet régnait à la Pioline avec son armée de lavandières, de plieuses, de repasseuses. Elle ne lessivait que tous les deux mois, pour pouvoir étaler des masses de linge dans les prés et se régaler des propos des passans : — Voilà bien la plus forte lessive du pays ! disait-on. — Et les placards ne sont pas vides pourtant ! répondait la Zounet. Et tous les jours des savonnages que vous ne comptez pas ! On ne saura jamais ce qu’il y a de linge dans notre maison.

Cette grande lessive prit trois jours, et pendant tout ce temps la Zounet tint M. Cazalis sous clé ; elle le soumit à la plus incroyable tyrannie. En partant, Mlle  Blandine lui avait laissé ses pleins pouvoirs pour le gouvernement de la Pioline. La Zounet en usait et en abusait sans mesure. Elle ne cessait de le bourrer, de le malmener ; elle alla jusqu’à lui faire écrire ses notes de lingerie et plier ses serviettes. Lorsqu’il voulut se révolter, elle lui mit le marché à la main. — Oh ! je n’y tiens pas, à rester ici, disait-elle, maintenant que nos maîtresses sont parties. P » ien ne me retient… Dites un mot plus haut que l’autre, et je pars… Vous soignera qui voudra !

Il arriva qu’un jour la Zounet fit une course à San-Bouzielli, où, trompée par de faux rapports de Tistet, elle croyait trouver malades quelques-uns des protégés de Mlle  Blandine. Tistet parut aussitôt à la Pioline. — Personne n’est malade par là-bas, mon commandant ; comme qui dirait une couleur, une ruse de guerre. — Il tira deux bécasses de son carnier et les jeta sur la table. — Elle ne reviendra qu’à la nuit, et nous allons faire entre nous un petit repas de