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II.

Le lendemain, à son lever, le lieutenant se trouva prisonnier dans sa chambre. La Zounet était partie pour Lamanosc avec toutes les clés des portes ; elle revint sur les neuf heures, en compagnie des maçons qu’elle avait loués pour murer la fenêtre.

— Au fait, se dit le lieutenant, elle a raison, cette fille. Avant-hier nous avons été trop loin avec ce diable de sergent. Zounet, dit-il tout haut, donnez à boire à ces braves gens.

— Ce n’est pas le moment, dit-elle ; je ne paie pas les ouvriers pour les tenir à chopiner des heures entières, au prix où sont les journées ! Vous autres, suivez-moi.

Sur ce chapitre de l’hospitalité, le lieutenant était intraitable, et, la Zounet refusant obstinément ses clés, il finit par éclater.

— Il me paraît que vous n’êtes pas le maître, dit un des maçons, C’est donc les femmes qui gouvernent dans ce pays ? Merci toujours pour votre amitié. Voyons cette fenêtre.

Ainsi bravé devant témoins, M. Cazalis s’emporta. — J’ai perdu mes clés, dit Zounet en cachant vivement son trousseau sous son fichu.

— Eh ! qu’on enfonce le caveau ! Mes amis, faites sauter la porte ! Les maçons obéirent en riant. La Zounet ne revenait pas d’une telle audace. Elle s’enfuit dans sa cuisine, le cœur gros, les yeux pleins de larmes. — Ah ! mon pauvre maître, ils vont le tuer ! Comme il est changé depuis le siège de Lamanosc ! Que dira Mlle  Blandine ?

Le sergent Tistet arriva une lettre à la main. — J’ai arrêté le courrier, dit-il. Voilà des nouvelles de Valence à l’adresse de la Zounet ; lisez, lisez. — Le lieutenant hésitait. Tistet fit sauter le cachet. — Lisez, lisez ; pour sûr on y parle de nous. Puisque la Pioline est en état de siège, nous avons bien le droit de surprendre les intelligences de l’ennemi.

Le lieutenant céda à la tentation. Mlle  Blandine écrivait vertement, sans détours, et le portrait qu’elle traçait de son frère n’avait rien de flatteur. En envoyant ses instructions à la Zounet pour le gouvernement de la Pioline, elle ne manquait pas de lui dénoncer tous les défauts du lieutenant. Le père Cazalis était traité comme un grand enfant qu’il fallait surveiller avec sollicitude, ne jamais perdre de vue, et pour le tenir en bride elle donnait à sa confidente les instructions les plus sévères, les plus détaillées. Elle arrêtait d’avance le programme de toute la semaine : le lieutenant était mis en tutelle ; une volonté inflexible réglait de loin l’emploi de toutes ses journées. C’était un programme complet, fixant les heures du coucher, du