Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1096

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais, mon ami ; mais, Espérit…

— Il n’y a plus d’ami, il n’y a plus d’Espérit.

Il s’en alla chez son curé : — Monsieur le curé, oui ou non, êtes-vous pour les Sendric ? Aimez-vous Marcel ?

— Oui certes, dit le curé.

— Alors vous êtes contre Mlle Blandine ?

— Mais en rien, en rien et nullement, et jamais, j’espère ! Moi, je suis pour tout le monde.

Espérit le pressa très vivement de prendre en main le mariage de Sabine et de Marcel, et d’user de toute son influence, de toute son amitié pour emporter le consentement de Mlle Blandine, à quoi le curé répondit : — Mon garçon, cela ne me regarde pas. Je n’aime pas à me mêler de ces sortes d’affaires. On ne dit déjà que trop que nous faisons tous les mariages.

— On dit, on dit est une bête, notre curé. Avec tous ces on dit, vous n’auriez jamais fait la grande fraternité de la barricade. Je vais vous conduire à la Pioline. Il n’y a que vous pour donner ce dernier coup.

Il ne servit de rien au curé de refuser obstinément, et pour se délivrer d’Espérit, il finit par lui dire : — Eh bien ! un de ces jours nous verrons, nous verrons. Tu m’enverras ton ânesse.

— La Cadette est en bas, toute bridée et sellée, qui vous attend à la porte. Entendez-la qui vous appelle.

— Mais je n’ai pas lu mon bréviaire.

— Vous le lirez en route, la Cadette n’a pas de vices, elle a le pas doux, et le bât est rembourré d’hier.

Bon gré, mal gré, il fallut partir.

— Allons, dit le curé en maugréant ; mais je ne te promets rien.

À l’arrivée, le curé trouva Mlle Blandine en grande tenue de sortie. — Vous arrivez à propos, dit-elle ; j’allais vous pousser une visite à Lamanosc. Allons nous asseoir sous les noisetiers. J’ai à vous parler de Sabine. Entre nous, sa santé m’inquiète. Elle est triste à la mort, elle pâlit ; elle est distraite ! On lui parle figues, elle répond raisins. C’est une pitié. Je compte sur vous pour la raisonner, et j’espère qu’elle ne résistera pas à son pasteur comme elle résiste à sa tante. Du reste ils sont tous contre moi, et je ne suis pas fâcher d’avoir un peu votre sentiment. Voyons si vous me donnez tous les torts. Là, quelle est votre opinion sur ce mariage dont ils sont tous férus ?

— En fait de mariage, dit le curé en s’asseyant carrément, je vous avouerai tout net que j’ai les opinions de nos anciens. Je ne suis pas pour les mariages de hasard ou de caprice, et je suis bien loin de mépriser ce qu’on appelle aujourd’hui les préjugés de