Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec le fusil à deux coups que le lieutenant envoyait à Damianet, il parla de tous les cadeaux qui se préparaient, qu’il avait vus, touchés ; rien ne put convaincre les douteurs, ni ces récits, ni la joie d’Espérit, ni les doléances des sept bourgeois du Café d’Apollon qui votaient un blâme sévère aux Cazalis, ni les réponses décidées de Mlle Blandine, ni même l’embarras de la Zounet, qui se montrait fort hostile à ce mariage et cherchait toujours des faux-fuyans grossiers pour échapper aux questions. Le notaire Giniez ne cessait de dire : « Ne croyez pas que tout soit encore fait ; il y a là-dessous quelque ruse de Mlle Blandine. Je la connais, c’est une femme de tête, une maîtresse femme. Du reste je parle contre mon intérêt : j’y perdrais un contrat et de beaux dîners de noces. »

Au milieu de tous ces bourdonnemens de l’opinion publique, tante Blandine faisait très bonne contenance, et dans cette république de Lamanosc ce n’était pas d’un mince courage. Avec les amies comme avec les ennemies, tous les jours, à toute heure, tante Blandine eut à soutenir le choc. Il lui fallut subir les objections timides des unes, les complimens aigre-doux des autres, et les allusions voilées, les sourires, les chuchottemens, jusqu’aux bonnes âmes qui, tout, naïvement, sans malice, venaient la plaindre comme une vaincue. Personne n’ignorait à Lamanosc qu’elle s’était juré de garder sa nièce auprès d’elle, de ne jamais la marier, et non-seulement Sabine se mariait, mais encore elle sortait de sa caste. Quelle défaite pour une personne aussi fière que Mlle Blandine !

Tante Blandine traversait gaiement et librement cette fourmilière toute en rumeur. Rien ne la troublait plus ; son orgueil de bourgeoise, son grand respect du qu’en dira-t-on, ses vanités, ses ruses, ses plans renversés, ses petits calculs égoïstes d’autrefois, ses dépits, ses rancunes, elle avait tout jeté de côté, d’une main vive et leste, avec la mutinerie et la grâce d’une fille résolue qui lance son bonnet par-dessus les moulins. La grâce et Mlle Blandine ! ces mots semblent jurer entre eux ; mais tout était si changé à la Pioline ! Et, comme tout se tient, ces grands changemens se voyaient dans les moindres choses, dans la mise de Mlle Blandine comme dans toutes ses habitudes. Tout naturellement, d’elle-même, sans qu’on lui en dît un mot, elle avait renoncé à ces toilettes extravagantes que Sabine n’avait jamais pu lui faire quitter. Délivrée de tout son faux luxe, et de ces toilettes qui jouaient à la jeunesse, et de ces tours de cheveux blonds qui lui tombaient en grappes sur les joues, redevenue elle-même, elle n’était plus reconnaissable, elle s’habillait avec goût et modestie ; non-seulement elle n’était plus ridicule, mais c’était vraiment une vieille fort agréable, portant très bien son âge, ses rides et ses beaux cheveux gris ; bref, une personne très aimable