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suffisamment. Nos propriétaires et fermiers peuvent donc, en toute sûreté de conscience, réaliser dès qu’ils le pourront l’immense économie que les machines doivent leur procurer. On ne se figure pas, quand on n’y a pas réfléchi, de quels chiffres il s’agit pour un pays comme la France. La récolte s’élève annuellement à 200 millions d’hectolitres de tous grains, semence comprise, et le battage d’un hectolitre au fléau coûte en moyenne 1 franc, tandis qu’il ne revient qu’à la moitié avec la machine, même en comptant l’intérêt et l’amollissement du prix d’achat ; la substitution d’un outil à l’autre n’entraîne donc rien moins qu’une différence annuelle de 100 millions. Le remplacement de la faucille, de la faux et de la sape par la moissonneuse donne des résultats analogues : dans l’un et l’autre cas, c’est une réduction de moitié, et, ce qui vaut mieux encore que l’économie de dépense, une grande économie de temps, avec la liberté de choisir son moment, de quitter, de reprendre et de finir sa besogne quand on veut. Il faut avoir vu les sollicitudes de la grande culture dans ces momens décisifs qui exigent un supplément extraordinaire de bras pour se faire une idée de ces avantages.

D’autres paraissent craindre que les machines ne donnent aux pays neufs, comme l’Amérique, l’Algérie et la Russie, où les terres sont pour rien et les bras peu nombreux, un grand avantage sur ceux anciennement peuplés et cultivés. Sans doute la production de ces régions à demi désertes trouvera des facilités nouvelles et dont il faut se féliciter dans l’intérêt de l’humanité, mais les autres en profiteront tout autant et peut-être davantage. Même avec les machines, la culture exige, pour se développer, un ensemble d’efforts et de ressources qui ne s’obtient que par la civilisation la plus avancée ; les contrées où abondent les hommes et les capitaux sont toujours les premières à appliquer comme à imaginer les forces nouvelles, et la barbarie a peine à les suivre, même quand elle en a la volonté. La population ne restera pas d’ailleurs stationnaire, la marée humaine ne cesse de monter, ses besoins tendent toujours à s’accroître plus vite que les moyens de les satisfaire. Si l’on entrevoit la possibilité de lutter un jour contre l’antique fatalité, il s’en faut qu’elle soit encore vaincue ; elle résistera longtemps. Les ruisseaux de lait et de miel ne coulent que dans les fables des poètes, et l’âge d’or, si jamais il arrive, aura toujours un mélange plus que suffisant d’âge de fer.

La division du sol ne met pas chez nous à la propagation des machines un obstacle aussi radical qu’on pourrait croire. N’oublions pas que la moitié de notre territoire est entre les mains de la grande et de la moyenne culture. Une récolte annuelle de 100 hectolitres suffit pour supporter l’intérêt des frais d’achat ; au-delà commencent les bénéfices. Ne sait-on pas d’ailleurs ce qui arrive déjà pour le