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la terre à sa suite et lui donnerait les saisons d’une comète. À voir le grand changement que 12 ou 15 degrés du thermomètre centigrade occasionnent dans la nature entière, il faut être bien optimiste pour croire qu’alors il pourrait échapper quelques êtres vivans à une si rude épreuve. Je dis qu’Arago est revenu à ces idées, car il a même autrefois professé l’extrême ténuité des gaz qui forment la nébulosité des comètes, et à cette occasion, après avoir cité le vide presque parfait que produisent mes machines pneumatiques à double épuisement, il ajoutait que la substance de la comète était bien des milliers de fois moins compacte que ce vide presque absolu. Quand on verra une comète entraîner la terre sur ses pas, il y aura longtemps que l’on aura vu les moucherons enlever les éléphans et les hippopotames dans les airs. À considérer les encouragemens à offrir aujourd’hui à l’astronomie, il me semble que le principal et le plus efficace serait d’augmenter la publicité donnée à des travaux par eux-mêmes peu populaires, et auxquels le public ne s’intéresse que par les résultats obtenus, quand ceux-ci sont brillans. Voltaire a dit :


On en vaut mieux quand on est regardé,
L’œil du public est aiguillon de gloire.


On conçoit aisément que, puisque les mérites scientifiques supérieurs ont à peine le privilège d’attirer l’attention de la société, les talens secondaires ne peuvent percer l’obscurité qui pèse sur ces travaux hérissés de chiffres, employant un langage spécial et exécutés au moyen d’instrumens dont l’usage et les noms sont inconnus à tous. Si l’on parle d’un piano, d’une basse, d’un chevalet, d’un pinceau, d’un burin, le mot fait image ; mais si on nomme un cercle mural, une lunette méridienne, un collimateur, une machine parallactique, un théodolite, que de mots ne faut-il pas ajouter pour en faire comprendre la signification ! Boileau mentionne

… La métaphore et la métonymie,
Grands mots que Pradon croit des termes de chimie !


Les termes d’astronomie sont encore bien plus inconnus du public. Quant aux formules, c’est encore pis. La trigonométrie, hérissée de ses sinus et cosinus, de ses tangentes et de ses logarithmes, se dresse comme un cerbère et crie avec l’école de Platon : Loin d’ici ceux qui ne sont pas géomètres ! (traduction grecque) Et pourtant avec un peu d’attention de la part de l’interrogateur, avec un peu de précaution de la part du narrateur, on peut exposer et faire comprendre tout ce qui doit, dans cette noble science, intéresser la société éclairée. Ces notions ne sont pas plus difficiles à acquérir que celles de la géographie et de la sphère, qui sont familières à tant de personnes. Quant à ce qui serait réellement au-dessus de la portée ordinaire de l’intelligence et qui ne serait pas susceptible d’être compris sans formules et sans algèbre, il faut en faire le sacrifice et surtout se bien garder d’assimilations inexactes qui fausseraient le jugement de l’auditeur. Surtout il faut éviter le style d’oracle qui cache bien souvent l’ignorance et toujours l’impuissance de trouver des idées claires et nettes. Aussi des esprits du premier ordre, comme Laplace dans son Exposition du Système du Monde, ont préféré s’en tenir à un très