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travail dans la capitale et dans la campagne ne concorder que trop avec des informations aussi précises, crut devoir alors, malgré l’attitude prise par le ministre brésilien, lui demander si le gouvernement légal pouvait compter sur l’assistance des troupes impériales dans le cas où l’ordre serait troublé par quelque tentative de révolution. M. Amaral, contrairement aux stipulations les plus formelles des traités qui ont réglé l’occupation de Montevideo par les forces brésiliennes, se refusa à tout engagement. Une pareille réponse était significative. Si elle ne laissa plus aucune illusion au général Florès, elle dispensa ses adversaires de garder désormais le moindre ménagement. Certains de l’appui moral du Brésil, ils brusquèrent donc le dénoûment, et le président ayant quitté la ville, ils se crurent les maîtres de la situation. Heureusement la réaction se prononça aussitôt.

La révolution avait été l’effet d’un coup de main, d’une surprise. C’était l’œuvre de la ville seule, et dans la ville d’une minorité audacieuse alliée à l’étranger contre la patrie. Le général Flores pouvait en appeler à la campagne ; son honneur même semblait lui en faire un devoir, et le retour inespéré du célèbre don Manuel Oribe, qui, malgré le souvenir des rigueurs que lui avait commandées Rosas, a conservé au grand prestige dans la Bande-Orientale, lui offrait la possibilité d’une alliance dont le poids serait très considérable. En un mot, tout annonçait le renouvellement de la guerre civile. Ce fut le commerce étranger qui s’émut tout d’abord de cette affligeante perspective. Bientôt la plupart des intérêts conservateurs du pays s’unirent à lui pour conjurer une aussi grande calamité, et leurs efforts trouvèrent un point d’appui précieux dans les représentans officiels de la France, de l’Angleterre et de l’Espagne à Montevideo, qui étaient également frappés de la gravité de la situation, qui avaient déjà interposé leurs bons offices pour prévenir une rupture entre le général Florès et le ministre du Brésil, et qui d’ailleurs, témoins impartiaux d’une lutte inégale, n’avaient pas attendu le résultat pour réprouver les intrigues de M. Amaral dont le but est tout à fait contraire aux engagemens comme aux intérêts des puissances européennes dans la Plata. Néanmoins ce n’eut pas été assez d’une coalition aussi respectable pour rétablir, ne fût-ce que momentanément, un peu d’ordre et de tranquillité dans la république de l’Uruguay, si le général Florès n’avait fait preuve d’une rare abnégation en consentant à résigner la présidence sous certaines conditions, d’ailleurs très justes et très modérées. Ainsi les troupes improvisées à Montevideo devaient être désarmées ; le gouvernement provisoire, issu de la révolution du 28 août, devait faire place à une administration dirigée par le président du sénat, qui est le suppléant constitutionnel du chef légal de l’état, et cet accord devait être placé sous la garantie morale des légations d’Espagne, de France et d’Angleterre. Ces conditions ont été fidèlement accomplies, et le président du sénat, M. Bustamante, vieillard respectable et intelligent, a pris d’une main assez ferme, malgré son grand âge, ce gouvernail très difficile à tenir, au milieu des frémissemens de la faction vaincue. « Tu trembles, pauvre homme ! » lui dit le jour de son installation un milicien grossier. « Oui, je tremble, répondit M. Bustamante, mais c’est de vieillesse. » Au reste, n’étant ni un militaire, ni un chef de parti, quelque respectable, bien intentionné et même intelligent qu’il puisse être, on conçoit que M. Bustamante ne suffira pas longtemps