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Puisqu’il a révélé le nom de ses collaborateurs, il faut nous associer à cette pensée généreuse, et ne pas lui attribuer ce qu’il désavouait. La plus digne manière d’honorer sa mémoire, c’est de ne pas le donner pour l’auteur des œuvres qu’il a dirigées ou inspirées : une telle flatterie serait une calomnie.

Pour établir la loyauté, le désintéressement de M. Froment Meurice, il est d’ailleurs parfaitement inutile d’invoquer le témoignage de tous ceux qui ont travaillé pour lui, sculpteurs, dessinateurs, ciseleurs, émailleurs. Les documens officiels suffisent amplement pour mettre à l’abri de tout reproche le caractère de cet habile fabricant. Il n’a eu que le tort de ne pas dire au public ce qu’il avait dit au jury. Des centaines de signatures n’ajouteraient rien à la valeur de ces documens, et pourraient même en infirmer l’autorité, à l’insu, au grand étonnement de ceux qui les auraient sollicitées. Le public n’accepterait pas comme juges tous les collaborateurs de l’orfèvre inspirateur, car s’il y en a plus d’un parmi eux qui peut travailler par lui-même, sans direction, sans inspiration, il y en a bien d’autres pour qui la direction et l’inspiration sont une nécessité, à qui le travail manquerait sans ce double auxiliaire, qui n’ont pas en un mot la ressource de l’initiative.

En terminant cette réponse, j’éprouve le besoin d’expliquer nettement la pensée qui m’a guidé quand j’ai demandé les noms que je viens d’apprendre. Ce n’est pas une pensée de dénigrement, mais une pensée de justice. Admettons avec les économistes que le capital soit du travail accumulé (et dans plus d’un cas cette définition serait inexacte) : est-ce une raison pour attribuer à celui qui dispose du capital la part de renommée qui appartient au créateur d’une œuvre admirée ? Il s’agit d’estimer le travail présent, et non le travail accumulé. Un fabricant habile est amplement rémunéré par les profits qu’il recueille. S’il réussit, il s’enrichit, et la richesse est pour lui une récompense suffisante. En voyant M. Froment Meurice nommé seul dans le Catalogue officiel de l’exposition universelle, j’ai cité MM. Feuchères et Klagmann ; je voulais séparer le mérite du capital prudemment engagé d’un mérite tout différent, celui du travail accompli avec le secours du capital. Était-ce là une intention méchante ? Je ne le crois pas. N’ayant à ma disposition que des renseignemens incomplets, ignorant la généreuse franchise de M. Froment Meurice, j’ai voulu dissiper une erreur dont il répudiait les conséquences, je le sais maintenant, mais que je pouvais croire autorisée par son silence, puisque le catalogue était muet. Ce que j’ai dit en 1855 s’accorde si bien avec ce qu’il a dit lui-même au jury en 1844, 1849, 1851, que ses représentans ne peuvent mettre en doute la pensée qui a dicté mes paroles. M. Froment Meurice était un habile fabricant et ne voulait pas se donner pour autre chose. J’enregistre avec plaisir sa déclaration trois fois renouvelée, qui me justifie pleinement. gustave planche.

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V. de Mars.