Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après le départ de Fuad-Effendi pour Saint-Pétersbourg. Chaque nouveau converti recevait trois ducats au moment où il était coiffé du fez et la promesse d’une somme égale par mois. Du reste la somme donnée à chaque nouvelle recrue variait suivant l’importance de l’individu. Voici à peu près le dialogue qui s’établissait entre le muchir de Roumélie et les nouveaux soldats qu’il recrutait pour la Porte : « Vous voulez devenir Turc ? — Oui, excellence. — C’est bien, vous n’êtes pas pour cela obligé de changer de religion. — Je ne le savais pas, j’en remercie votre excellence. — Mais vous savez qu’il faut en Turquie une obéissance passive, et qu’il n’y a là d’autre loi que le sabre. Demain vous serez dirigé sur Routschouck. » Les nouveaux Turcs n’étaient pas obligés de passer par les épreuves qui étaient exigées jadis, et qu’Omer-Pacha connaissait par expérience ; mais, bons ou mauvais, ils devenaient musulmans. C’était là un scandale profondément attristant, et qui surtout blessait le consul d’Autriche, bien qu’il n’osât pas réclamer, tant la cause de l’insurrection était populaire parmi les milliers de sujets autrichiens qui habitent Bucharest, et tant elle inspirait de sympathie même à la noblesse valaque, que le naufrage des institutions hongroises alarmait pour le sort des institutions de son pays.

....... Jam proximus ardet
Ucalegon…

D’ailleurs à cette époque l’Autriche, dans les principautés, était tombée dans un entier discrédit et n’exerçait aucune influence. Ses agens se bornaient depuis longtemps à marcher avec une parfaite discipline dans la voie tracée par ceux de la Russie ; ce fut donc l’agent de France qui, par un sentiment de convenance, fit auprès d’Omer-Pacha une démarche toute personnelle, et obtint du général ottoman l’atténuation du scandale, bien que celui-ci continuât de maintenir son droit d’agir comme il le faisait. Bien plus, Omer-Pacha parlait hautement et en toute occasion des nombreuses apostasies qui se déclaraient dans les rangs les plus élevés de l’émigration hongroise, et enregistrait avec plaisir les noms des généraux et des nobles qui se faisaient musulmans. Renégat lui-même, il n’était pas fâché, bien que sa conscience le troublât peu, d’avoir des imitateurs du nom et du rang de ceux qui augmentaient le nombre des sectateurs du prophète.

Ce fut à cette époque qu’Omer-Pacha présenta dans les salons de Bucharest, comme sa femme, une jeune allemande dont l’histoire est à la fois bien simple et bien singulière. Elle était de Cronstadt en Transylvanie, et, comme un grand nombre de ses compatriotes, elle était venue chercher à Bucharest un peu d’aisance par le travail.