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demande aucune allégeance temporelle. La religion catholique prêche partout le respect et la soumission au souverain, qu’il soit catholique, sépare de l’église romaine, ou musulman. C’est aussi le rôle qu’a toujours rempli la France. Elle est la protectrice des populations et des intérêts catholiques, qu’un glorieux passé a mis sous son patronage, mais elle les protège pour ainsi dire par la Porte et pour la Porte. C’est là le principe qui a dirigé la diplomatie française en Syrie, et c’est à notre influence que le Liban doit sa pacification. L’Autriche, à l’époque où elle était la rivale autant que l’amie de la Russie, s’était également bornée à maintenir son influence parmi les populations catholiques de la Turquie d’Europe, comme moyen de balancer l’influence russe, qu’elle n’osait attaquer de front, sur les populations grecques, et probablement aussi pour se préparer un lot à sa convenance quand les événemens viendraient mettre à la disposition des plus forts l’héritage de Mahomet II et de Soliman le Magnifique, héritage que la politique du cabinet de Vienne a toujours considéré comme devant passer, dans un avenir plus ou moins éloigné, aux mains des grandes cours européennes. Cependant après l’affaire des réfugiés l’Autriche chercha ou contribua à agiter les populations catholiques, comme en Bulgarie, ou à les protéger contre la Porte, comme en Bosnie, et par là elle unit son influence à celle de la Russie, avec ou sans préméditation, mais au grand détriment de la Turquie. Ainsi à Routschouk le consul d’Autriche fréquentait beaucoup les Bulgares schismatiques, assistait à leurs noces, à leurs réunions, hissait son pavillon et se rendait à l’église en uniforme à chaque fête bulgare. L’évêque venait au-devant de lui accompagné de son clergé. Tout ceci se passait en 1850 ; un consul de Russie n’aurait pas agi autrement.

Ces faits préoccupaient justement la Porte. Si en effet l’influence catholique de l’Autriche venait à s’unir à celle que la Russie possède sur les chrétiens grecs, les dangers pour la Porte en seraient augmentés, car c’est surtout au sein des populations chrétiennes que se trouve le secret de la faiblesse de l’empire ottoman et que gît l’incertitude de son avenir. La Porte n’avait devant elle, avant son alliance avec la France et l’Angleterre, que des routes semées de difficultés qui n’ont pas encore entièrement disparu. Il n’est pas douteux que l’esprit musulman s’affaiblit en Turquie, surtout dans les hautes régions, et que l’esprit de tolérance a fait de grands progrès, avec ou sans le consentement de la Porte. Si, émue des conséquences de l’affaiblissement de l’esprit musulman, la Porte veut revenir sur ses pas, abandonner le système de douceur et de tolérance politique dans lequel elle est entrée à l’égard des populations chrétiennes, ou seulement même s’opposer au développement désormais irrésistible