Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tard, Tahir-Pacha fut nommé gouverneur-général de Tripoli de Barbarie, et son administration a été racontée ici même par un juge compétent[1]. Tombé de nouveau en disgrâce, il fut enfin nommé, en août 1849, gouverneur général de la Bosnie. Tahir-Pacha avait conservé le caractère d’un pirate barbaresque et les passions d’un vieux janissaire ; il ne croyait pas la réforme possible dans l’empire ottoman, se moquait de toutes les idées étrangères, et était fort contrarié de la mission que la Porte lui avait confiée. Dans ses rares momens de bonne humeur, il se moquait lui-même des vaines tentatives qu’on l’obligeait à faire pour détruire le système féodal en Bosnie et dans l’Herzégovine. Cependant, pour se donner auprès de la Porte les apparences du zèle et de l’activité, il se prononça contre Ali-Stolatchovitch, pacha héréditaire de l’Herzégovine, dont la domination, maintenue par la terreur, enlevait aux populations chrétiennes toute confiance dans le succès des entreprises du divan. De son côté, Ali-Pacha se plaignait d’être obligé d’entretenir une très nombreuse milice pour réprimer les incursions des brigands monténégrins. Il avait corrompu les hauts fonctionnaires qui pouvaient servir ses vues et fait des comptes de dépenses tellement exagérées, que, loin de tirer quelque profit de l’Herzégovine, la Porte était forcée d’y mettre du sien. Vers le mois d’octobre 1849, fin de l’année financière en Turquie, Ali-Pacha devait à la Porte le tribut tout entier, c’est-à-dire qu’il le portait en compte comme ayant été employé pour les dépenses de l’état.

Ali-Pacha, de la famille de Stolatchovitch, prenait son nom de Slolatch (au moyen âge Stolzenburg), château fortifié où l’on peut lire encore des versets de la Bible écrits en vieux caractères gothiques. Ce château est situé à trois lieues environ au nord-est de Mostar, capitale de l’Herzégovine. Ali était un vieillard plein d’orgueil farouche, et dont l’œil contemplait avec complaisance, sur les murs d’enceinte de son palais de Mostar et de ses châteaux d’été de Buna et de Stolatch, les pals garnis des têtes de chrétiens décapités par ses ordres ou par ceux de son cavas-bachi (chef de ses gardes), qu’il avait armé d’un pouvoir absolu. Il régnait véritablement et se flattait de l’espoir de voir rétablir en sa personne la dignité de krall (roi) de l’Herzégovine[2]. La Sublime-Porte, impuissante pour réprimer

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre, l’étude de M. Pellissier sur Tripoli.
  2. L’Herzégovine était jadis unie au sandjack de Bosnie, mais elle forme maintenant un pachalik séparé. La Bosnie et l’Herzégovine se trouvent donc à peu près dans la situation où étaient ces provinces alors qu’il y avait un roi en Bosnie et un duc (Herzog) en Herzégovine. Ce dernier mot veut dire le duché. On sait qu’en 1440 l’empereur Frédéric reconnut le titre de duc à Etienne, chef de la province. Ce duché ne cessa d’exister politiquement qu’en 1483 par la conquête des Turcs.