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ne fais pas de supplément à Jomini : le comte Fœdieski était là où je vous le montrerai.

Ce que je tâcherai de vous dire en peu de mots, mais avec une complète exactitude, c’est comment Régis a été doué par de bonnes ou mauvaises fées ; car savoir quels dons il faut bénir, quels il faut détester, c’est le tourment des rêveurs et le secret de Dieu. Régis est né dans un château qui a été brûlé lors des insurrections de Galicie ; mais ni son enfance ni sa jeunesse ne se sont écoulées en Pologne. Il a été élevé à Paris, et comme son père avait servi l’empire, il s’est trouvé Français. Cependant la France n’a point pu devenir sa vraie patrie. Sa mère était une de ces femmes du Nord que je soupçonne, parmi les filles des hommes, d’avoir cessé les dernières tout commerce avec les anges, tant il est resté de suave harmonie sur leurs lèvres, et dans toute leur personne d’indicible attrait. Elle fit entendre à son berceau cette belle langue à la fois éloquente et rêveuse, différente de tous les dialectes slaves. Régis se prit, pour un pays qu’il n’avait jamais vu, que peut-être il ne verrait jamais, de cette passion ardente comme le désir, infinie comme le rêve, qu’inspire aux hommes l’inconnu. Il était (pourquoi ne le dirais-je pas, dans un moment où les poètes ne sont, je crois, guère à la mode ?) merveilleusement doué pour la poésie. Tout ce qu’il sentait, tout ce qu’il pensait se traduisait au fond de lui en paroles vibrantes et cadencées. À vingt ans, il avait écrit, dans le langage de ses pères, quelques odes, quelques élégies, quelques chansons, qui ont pénétré en Pologne. C’est de lui cet hymne aux couleurs polonaises :


Couleurs sacrées, vous êtes bien celles de notre patrie :
Blanc, tu dis qu’où nous a relégués parmi les fantômes ;
Rouge, tu cries que nous sommes vivans.


Comme ce pauvre Régis toutefois est bien loin d’être un écrivain, en voilà certainement assez sur ses titres littéraires. Ce que je voulais, c’est que l’on connût tout un côté de son esprit. Quand il fut en état de manier vigoureusement un sabre, de supporter les grandes fatigues et les longs ennuis, il s’engagea. Ce fut en même temps par entraînement et par bon sens qu’il se fit soldat. Il n’était pas de ceux qui ont trouvé le moyen de défendre les causes chevaleresques sans jamais quitter leurs foyers, qui ne se permettent point, dans leur sainte horreur de l’épée, même la vivacité de saint Pierre vengeant, sur l’oreille de Malchus, sa foi honnie, son Dieu insulté. Je crois que Régis a, sinon coupé lui-même, du moins fait couper plus d’une oreille, car dix années de sa vie se sont passées en Afrique ; on comprend quelle action l’existence de la solitude, de l’aventure, des dangers a dû prendre sur une âme comme la sienne. S’il vit, il s’est