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un fils, Frédéric, officier de marine, compromis dans la révolte d’un équipage contre un commandant tyrannique, et à qui le séjour de l’Angleterre est désormais interdit. Cependant cette grande douleur, que le temps n’a pu affaiblir, n’explique pas néanmoins le redoublement de tristesse qui se fait remarquer chez M. Hale. La vérité, soigneusement cachée, finit à la fin par se révéler : le poison du doute s’est glissé dans l’âme de M. Hale. Lui, depuis si longtemps membre de l’église anglicane, il a fini par concevoir des doutes, non sur la vérité de la religion, mais sur la vérité des interprétations de l’église dont il fait partie. C’est là la récompense de toute une vie de réflexions et de labeurs intellectuels. Si M. Hale était une âme ordinaire, il pourrait faire comme tant d’autres, ne révéler jamais ses doutes et continuer son ministère en le regardant tout simplement comme une profession et une condition donnée dans la vie. M. Hale n’est pas capable d’un tel crime; il a toujours ouvert devant lui le livre où un pauvre ministre de l’église, assiégé des mêmes doutes que lui il y a cent soixante ans, raconta ses angoisses, ses épreuves, son triomphe et la paix de sa conscience, obtenue par la satisfaction donnée à la vérité.

M. Hale a balancé longtemps, non par faiblesse d’âme et absence de résolution, mais par timidité de caractère et tout simplement par la difficulté de faire à sa famille et à ses amis une telle révélation; mais enfin il se décide, il s’ouvre à sa fille : il a écrit à l’évêque pour donner sa démission; il a raconté ses épreuves morales à quelques amis d’Oxford; dimanche prochain, il fera à ses paroissiens son discours d’adieu, et dans quinze jours il ne sera plus membre de l’église anglicane. Mistress Gaskell excelle, comme on sait, à raconter ces affaires litigieuses de l’âme et tous ces petits procès intérieurs des facultés morales entre elles. C’est le romancier des cas de conscience; le charmant roman de Ruth était, si l’on s’en souvient, fondé sur un mensonge innocent. Armée de cette faculté exquise et toute féminine, le tact, elle ne juge pas les actions humaines d’après le code des conventions mondaines, ni d’après le code légal, ni même d’après le code religieux; elle cherche à pénétrer le vrai motif de ces actions, la racine d’où elles sont sorties, et les absout ou les condamne selon qu’elles sont ou ne sont pas conformes à la vérité, ou, ce qui pour une femme est à peu près synonyme de vérité, à la charité et à la sympathie. Elle sait à merveille et avec un goût parfait poser aux pharisiens de petites questions imprévues et embarrassantes. Ainsi l’affaire de M. Hale pourrait être traitée par plus d’un d’apostasie, de conversion par beaucoup d’autres. Apostasie et conversion, ce sont là de bien gros mots, pourrait-elle répondre; au fond, la conduite du clergyman est strictement conforme à la règle du décalogue qui dit :