Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disposition du terrain de la Cyrénaïque me porterait à croire, si j’avais à hasarder des conjectures géologiques, que le Djebel-Akhdar a dû former une île séparée du continent auquel il appartient actuellement par un bras de mer s’étendant de Bomba jusqu’au sud de Bengazi.

Bomba est une localité que recommande à l’attention des marins et des géographes une magnifique rade, la plus belle et la plus sûre que l’on puisse trouver dans tout le nord de l’Afrique. Il n’en existe pas en France que je sache de reconnaissance nautique et détaillée; mais les Anglais s’en sont occupés, et sous Catherine II, alors que les Russes rêvaient un établissement maritime dans la Méditerranée, la rade de Bomba excita leur convoitise. En 1793, les agens secrets de la tsarine entamèrent à ce sujet une négociation avec le pacha de Tripoli, alors momentanément réfugié à Tunis. Le pacha parut s’y prêter; puis, une fois rentré à Tripoli, il ne voulut plus en entendre parler. Le consul de France songea alors à l’acquisition de ce point par voie d’échange contre notre établissement de La Calle. Le gouvernement républicain parut goûter le projet, mais la chose n’alla pas plus loin.

A une journée de marche à l’ouest de Bomba, on trouve, sur le littoral, la petite ville de Derna, partagée, comme beaucoup d’autres de la Barbarie, en bourgs distincts, quelquefois rivaux et même ennemis. Derna en a cinq qui sont : la ville proprement dite ou Médinah, puis El-Djébeli, El-Megarah, Mansour-el-Fokhani et Mansour-el-Tahtani, où se trouve le port. Tout cela forme un ensemble assez gracieux et assez pittoresque, surtout pour ceux qui ont traversé, avant d’y arriver, l’aride et sauvage Marmarique. Derna eut la gloire de repousser, par sa seule attitude hostile, un débarquement de troupes françaises en 1801. Il est bon d’expliquer le fait. L’amiral Ganteaume, qui avait mission de conduire nos troupes en Égypte, croyant ne pouvoir atteindre Alexandrie à cause des croisières anglaises, voulut les débarquer à Derna pour leur faire suivre leur route par terre. Un traité, qui prévoyait cette éventualité, avait bien été passé entre la France et le pacha de Tripoli: mais comme les gens de Derna n’avaient été prévenus de rien, ils se mirent en état de défense en voyant les dispositions des Français, et l’amiral Ganteaume, rencontrant la guerre là où il attendait un concours pacifique, n’insista pas et se retira. Ainsi, tout compte fait, la gloire des habitans de Derna ne fut que négative.

Quelques années après, les Américains parurent à Derna comme auxiliaires ou protecteurs d’un prétendant au trône de Tripoli. C’est un épisode inconnu ou oublié de l’histoire du XIXe siècle; on nous permettra d’en dire un mot. Aussitôt après la proclamation de leur