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se délivre à soi-même, c’est que les personnes qui en exagèrent le plus les termes sont précisément celles qui se refusent d’une manière absolue à laisser les marchandises étrangères aborder nos marchés sous une forme quelconque, crient à la trahison quand on se relâche des mesures de précaution destinées à les éloigner, et traitent de cerveaux à l’envers les hommes qui ne voient pas la ruine de la France attachée à l’entrée de quelques pièces de drap saxon ou de calicot anglais. Je ne juge pas la contradiction, je la constate : d’un côté la bonne opinion que l’on a de ses forces, de l’autre la répugnance que l’on éprouve à en fournir la seule preuve qui ne soit pas susceptible d’être récusée. En lui-même, ce sentiment qui conclut toujours à notre avantage est moins présomptueux et moins erroné qu’il n’en a l’air. Quand on le pénètre, on se convainc qu’il ne manque ni de bonne foi, ni d’une apparence de fondement. Supérieurs en toute chose ou à peu près, est-ce donc là où nous en sommes ? Non, assurément, pour des arbitres qui rendent un arrêt sérieux ; mais pour des esprits qui s’en tiennent à la surface et font pencher les faits du côté qui leur sourit, il y a pour nous en toutes choses une certaine supériorité, ici plus réelle, là plus imaginaire.

Le propre des industries étrangères, c’est de ne mettre dans les objets de consommation usuelle que ce qu’il est indispensable d’y mettre pour un bon emploi, de les traiter d’après des modèles uniformes et dans de telles proportions, que le coût en est nécessairement diminué ; c’est d’avoir pour constante préoccupation l’accroissement des débouchés, et d’y aboutir par la modération des prix et une grande loyauté professionnelle. De là le succès des établissemens de premier ordre qui existent, en Angleterre et sur les traces desquels les nôtres s’efforcent de marcher : aller au but par le plus court et le meilleur chemin, c’est leur devise, et ils n’y dérogent pas. Aussi faut-il reconnaître que pour les principaux articles de consommation, comme les tissus de coton, de laine et de fil, le travail des métaux, la construction des machines et du matériel naval, les objets d’économie domestique, la production de la houille, les porcelaines, les faïences et les poteries communes, ils l’emportent évidemment sur nous, et que si nous avons fait de grands efforts pour nous en rapprocher, nous ne les avons point encore atteints. Ce n’est pas, il est vrai, un empire, sans partage, et d’autres puissances y exercent un droit de revendication : la Belgique pour la houille, les draps, les armes, les fers, l’Allemagne pour les lainages, les aciers et les porcelaines, la Suisse pour les matières textiles, le nord de l’Europe pour les constructions navales ; mais à réunir toutes ces forces en un seul faisceau et à envisager l’étranger d’une manière abstraite, la supériorité lui reste acquise pour cet ensemble d’articles, c’est-à-dire