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c’est un avocat bien éloquent et bien persuasif que le succès. Cependant la reine demeura assez longtemps indécise, et on voit, dans les carnets de Mazarin, pendant la fin de mai, tout le mois de juin et celui de juillet, que le principal objet du cardinal est de porter la régente à ne point abandonner ses alliés et à soutenir fortement la guerre. Mme de Chevreuse, avec Châteauneuf, défendait la vieille politique du parti, et s’efforçait d’y ramener Anne d’Autriche : « Mme de Chevreuse, dit Mazarin, fait dire de tous côtés à la reine que je ne veux pas la paix, que j’ai les mêmes maximes que le cardinal de Richelieu, qu’il est nécessaire et qu’il est facile de faire une paix particulière. » Il s’élève plusieurs fois contre les dangers d’un pareil arrangement, qui eût rendu inutiles les sacrifices de la France pendant tant d’années : « Mme de Chevreuse, s’écrie-t-il, veut ruiner la France ! » Il savait que, liée intimement avec Monsieur, son ancien complice dans toutes les conspirations ourdies contre Richelieu, elle l’avait séduit à l’idée d’une paix particulière en lui faisant espérer pour sa fille, Mme de Montpensier, un mariage avec l’archiduc, qui lui aurait apporté le gouvernement des Pays-Bas. Il savait qu’elle avait gardé tout son crédit sur le duc de Lorraine, et le maréchal de l’Hôpital, qui commandait de ce côté, lui faisait dire de se défier de toutes les protestations du duc Charles, parce qu’il appartenait entièrement à Mme de Chevreuse. Il savait enfin qu’elle se vantait de pouvoir faire promptement la paix au moyen de la reine d’Espagne, dont elle disposait. Aussi supplie-t-il la reine Anne de repousser avec fermeté toutes les propositions de Mme de Chevreuse, et de lui dire nettement qu’elle ne veut entendre à aucun arrangement particulier, qu’elle est décidée à ne pas se séparer de ses alliés, qu’elle souhaite une paix générale, que c’est pour cela qu’elle a envoyé à Munster des ministres qui traitent cette grande affaire, et qu’il est superflu de lui en parler davantage.


III

Battue sur ces différens points, Mme de Chevreuse ne se tint pas pour vaincue. Voyant qu’elle avait inutilement employé l’insinuation, la flatterie, la ruse et toutes les intrigues ordinaires des cours, cette âme hardie ne recula pas devant l’idée de recourir à d’autres moyens de succès. Elle continua de faire agir les dévots et les évêques, elle suivit ses trames politiques avec les chefs des Importans, et en même temps elle se rapprocha de cette petite cabale, qui formait en quelque sorte l’avant-garde du parti, composée d’hommes nourris dans les anciens complots, habitués et toujours prêts à des coups de main, qui jadis s’étaient embarqués dans plus d’une entreprise