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la reine et remarqué son émotion. Elles firent tout ce qu’elles purent pour l’empêcher de monter, et le conjurèrent de s’éloigner quelque temps. Lui, sans se troubler, leur répondit comme autrefois le duc de Guise : on n’oserait, et il entra chez la reine. Il la trouva dans son grand cabinet, qui le reçut de la meilleure grâce du monde et lui fit toute sorte de questions sur sa chasse, « comme si, dit Mme de Motteville, elle n’avoit eu que cette pensée dans l’esprit. Le cardinal étant arrivé sur cette douceur, la reine se leva et lui dit de la suivre. Il parut qu’elle vouloit aller tenir conseil dans sa chambre. Elle y passa suivie seulement de son ministre. En même temps le duc de Beaufort, voulant sortir, trouva Guitaut, capitaine des gardes, qui l’arrêta et lui fit commandement de le suivre au nom du roi et de la reine. Le prince, sans s’étonner, après l’avoir considéré fixement, lui dit : Oui, je le veux ; mais cela, je l’avoue, est assez étrange. Puis, se tournant du côté de Mme de Chevreuse et de Hautefort, qui étoient là et causoient ensemble, il leur dit : Mesdames, vous voyez, la reine me fait arrêter. Le lendemain, continue Mme de Motteville, pendant qu’on peignoit la reine, elle nous fit l’honneur de nous dire, à deux de ses femmes et à moi, que deux ou trois jours auparavant, étant allée se promener à Vincennes, où M. de Chavigny lui avoit donné une magnifique collation, elle avoit vu le duc de Beaufort fort enjoué, et qu’alors il lui vint dans l’esprit de le plaindre, disant en elle-même : Hélas ! ce pauvre garçon dans trois jours sera peut-être ici, où il ne rira pas. Et la demoiselle Filandre, première femme de chambre, me jura que la reine pleura ce soir-là en se couchant. « La bonne dame d’honneur, toujours attentive à taire ou à nier ce qui pourrait nuire à sa maîtresse, et à relever ce qui lui est favorable, se complaît ici à célébrer sa douceur et son humanité. Nous voyons surtout dans la conduite d’Anne d’Autriche une dissimulation merveilleuse, comme Mme de Motteville ne peut s’empêcher de le remarquer : il est évident que tout était concerté d’avance entre la reine et Mazarin, et si les larmes qu’elle répandit en cette circonstance montrent ce qu’il lui en coûta de faire mettre en prison un ancien ami, elles prouvent aussi, et encore bien plus, à quel point l’ami nouveau lui devait être cher pour en avoir obtenu un ici sacrifice.

Le lendemain matin, le duc de Beaufort fut conduit à ce même château de Vincennes où, quelques jours auparavant, il avait été se promener et faire collation avec la reine. Le peuple de Paris, toujours ami des résolutions hardies quand elles réussissent, ne s’émut nullement de la disgrâce de celui qu’un jour il devait adorer, et en voyant passer sur le chemin de Vincennes le futur roi des faubourgs et des halles, il avait applaudi, à ce qu’assure Mazarin, et s’était écrié avec joie : « Voilà celui qui voulait troubler notre repos ! »