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Les plus dangereux des Importans reçurent l’ordre de s’éloigner de Paris. Montrésor, Béthune, Saint-Ybar, Varicarville et quelques autres furent confinés en province sous une exacte surveillance, ou même quittèrent la France. On commanda aux Vendôme de se retirer à Anet, et le château d’Anet étant bientôt devenu ce qu’avait été à Paris l’hôtel de Vendôme, l’asile des conspirateurs, Mazarin les réclama du duc César, qui se garda bien de les livrer. Le cardinal fut presque réduit à assiéger en règle le château. Il menaça d’y pénétrer de vive force pour y saisir les complices de Beaufort ; ne supportant pas ce scandale d’un prince qui bravait impunément la justice et les lois, il songeait à en avoir raison, et il allait prendre une résolution énergique, quand le duc de Vendôme se décida lui-même à quitter la France, et s’en alla en Italie attendre la chute de Mazarin, comme autrefois il avait attendu en Angleterre celle de Richelieu.

L’arrestation de Beaufort, la dispersion de ses complices, de ses amis, de sa famille, était la première, l’indispensable mesure que devait prendre Mazarin pour faire face au danger le plus pressant. Mais que lui eût-il servi de frapper le bras s’il eût laissé subsister la tête, si Mme de Chevreuse était restée là, toujours empressée à entourer la reine de soins et d’hommages, assidue à la cour, retenant ainsi et ménageant les dernières apparences de son ancienne faveur pour soutenir et encourager dans l’ombre les mécontens, leur souffler son audace, et susciter de nouveaux complots ? Elle avait encore dans sa main les fils mal rompus de la conspiration, et à côté d’elle était un homme trop expérimenté pour se laisser compromettre en de pareilles menées, mais tout prêt à en profiter, et que Mme de Chevreuse s’était appliquée à faire paraître à la reine, à la France et à l’Europe, comme très capable de conduire les affaires. Mazarin n’hésita donc pas, et le lendemain même de l’arrestation de Beaufort, le 3 septembre, Châteauneuf était invité à venir saluer la reine, et à se rendre ensuite dans son gouvernement de Touraine. L’ancien garde des sceaux de Richelieu trouva que c’était déjà quelque chose d’être sorti ouvertement de disgrâce, d’avoir repris le rang éminent qu’il avait jadis occupé dans les ordres du roi et le gouvernement d’une grande province. Son ambition allait bien plus haut ; il la garda et l’ajourna, obéit à la reine, se ménagea habilement avec elle, et se maintint fort bien avec son ministre, en attendant qu’il le pût remplacer. Il attendit longtemps encore, mais enfin il ne mourut pas sans avoir revu, un moment du moins, le pouvoir qu’un amour insensé lui avait fait perdre, et qu’une amitié fidèle et infatigable lui rendit[1].

  1. Châteauneuf eut les sceaux en mars 1650, quand Mazarin s’exila lui-même, jusqu’en avril 1651. Il mourut en 1653, âgé de soixante-treize ans. On voyait autrefois son tombeau dans la cathédrale de Bourges ; il ne reste plus aujourd’hui que sa statue en marine, avec celle de son père Claude de l’Aubespine et de sa mère Marie de La Châtre, de la main de Philippe de Buister.