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Mme de Chevreuse se rendit à sa terre du Verger, entre Tours et Angers. La profonde solitude qui se fit autour d’elle lui rendit plus amer le sentiment de sa défaite. Elle rencontra Montrésor, qui s’était aussi retiré en Touraine, et elle eut avec lui quelques entrevues. Elle écrivit à Paris au duc de Guise pour savoir s’il était vrai qu’il désapprouvât sa conduite et tenter sa chevalerie. Elle correspondait avec sa belle-mère, Mme de Montbazon, reléguée à Rochefort, et les deux exilées s’excitaient l’une l’autre à tout entreprendre pour renverser leur ennemi commun. Vaincue au dedans, Mme de Chevreuse reporta toutes ses espérances du côté de l’étranger. Elle ranima les intelligences qu’elle n’avait jamais cessé d’entretenir avec l’Angleterre, l’Espagne et les Pays-Bas. Son principal appui, le centre et l’intermédiaire de ses intrigues, était lord Gorin, ambassadeur d’Angleterre auprès de la cour de France, qui, comme son maître et surtout comme sa maîtresse, appartenait au parti espagnol. Craft, le gentilhomme anglais que nous avons presque toujours rencontré à la suite de Mme de Chevreuse, s’agitait bruyamment pour elle, comme le chevalier de Jars intriguait sourdement pour Châteauneuf. Sous le manteau de l’ambassade d’Angleterre, une vaste correspondance s’était établie entre Mme de Chevreuse, Vendôme, Bouillon et tous les mécontens. Mazarin connaissait et surveillait toutes ces manœuvres. Au milieu de 1644, il fit saisir à Paris le contrôleur de la maison de Mme de Chevreuse, et même quelque temps après son médecin, dans le carrosse même de sa fille. La duchesse se plaignit vivement d’un tel procédé dans une lettre qu’elle trouva le secret de faire arriver jusqu’à la reine. Elle prétend qu’on fit descendre Mme de Chevreuse de voiture, « deux archers lui tenant le pistolet à la gorge, et criant sans cesse : tue, tue, et autant aux femmes qui étoient avec elle[1]. » Elle ne manque pas de protester de son innocence et d’en appeler de l’inimitié de Mazarin à la justice d’Anne d’Autriche ; mais le médecin qu’on avait arrêté, conduit à la Bastille, fit des aveux qui mirent sur la trace de choses fort graves, et un exempt des gardes du roi alla porter à Mme de Chevreuse l’ordre de se retirer à Angoulême : l’exempt était même chargé de l’y conduire. Il y avait à Angoulême un château-fort servant de prison d’état, où son ami Châteauneuf avait été détenu pour elle pendant dix années. Ce souvenir, toujours présent à l’imagination de Mme de Chevreuse, l’épouvanta ; elle craignit que ce ne fût la retraite où on la voulait mener, et, préférant toutes les extrémités à la prison, elle se décida à se rengager dans les aventures qu’elle avait affrontées en 1637, et à reprendre pour la troisième Ibis le chemin de l’exil.

  1. Lettre inédite de Mme de Chevreuse à la reine, de Tours, 20 novembre 1644.