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Charles IV, né de l’amour, mais lui survivant, et plus fort que toutes les nouvelles amours de ce prince inconstant, le retint au service de l’Espagne, et fit échouer les projets de Mazarin. Peu à peu elle redevint l’âme de toutes les intrigues ourdies contre le gouvernement français. Elle ne le combattait pas seulement au dehors ; elle lui suscitait au dedans des difficultés sans cesse renaissantes. Entourée de quelques émigrés ardens et opiniâtres, entre autres du comte de Saint-Ybar, un des hommes les plus résolus du parti, elle soutenait en France les restes des Importans, et partout attisait le feu de la sédition. Passionnée et maîtresse d’elle-même, elle gardait un front serein au milieu des orages, en même temps qu’elle déployait une activité infatigable pour surprendre les côtés faibles de l’ennemi. Se servant également du parti protestant et du parti catholique, tantôt elle méditait une révolte en Languedoc, ou un débarquement en Bretagne ; tantôt, au moindre symptôme de mécontentement que laissait échapper quelque personnage considérable, elle travaillait à l’enlever à Mazarin. En 1647, son œil perçant discerna au sein même du congrès de Munster des signes de mésintelligence entre l’ambassadeur français, le duc de Longueville, et le premier ministre, qui en effet ne s’entendaient guère, et elle a la triste gloire d’avoir dès lors fondé de trop justes espérances sur l’ambition mal réglée et l’humeur mobile du duc d’Enghien, tout récemment devenu prince de Condé[1].

Le temps fait un pas, la fronde éclate ; l’ardente duchesse s’élance de nouveau de Bruxelles en 1649, et vient apporter à ses amis l’appui de l’Espagne et de son expérience. Elle avait près de cinquante ans. Les années et les chagrins avaient triomphé de sa beauté, mais elle était encore pleine d’agrémens, et son ferme coup d’œil, sa décision, son audace, son génie étaient entiers. Elle avait trouvé un dernier ami dans le marquis de Laignes, capitaine des gardes du duc d’Orléans, homme d’esprit et de résolution, qu’elle aima jusqu’à la fin, et qu’après la mort de M. de Chevreuse, en 1657, elle unit peut-être

  1. Bibliothèque Mazarine, lettres françaises de Mazarin, lettre du 28 septembre 1645 à l’abbé de La Rivière, folio 453. — Mais une pièce de la dernière importance et qui jette un grand jour sur toutes les intrigues de Mme de Chevreuse en 1646 et 1647, et aussi sur l’état des esprits en France à la veille de la fronde, et sur l’ambition inquiète qui avait pénétré dans la maison de Condé, c’est un mémoire d’un agent espagnol, que nous avons déjà rencontré dans l’affaire du comte de Soissons, l’abbé de Mercy, mémoire adressé au gouvernement des Pays-Bas, et où l’abbé de Mercy montre tout ce que pourraient contre Mazarin Saint-Ybar et surtout Mme de Chevreuse, s’ils étaient mieux soutenus. Cette pièce est intitulée : Mémoire sur ce qui s’est négocié et traité au voyage de l’abbé de Mercy en Hollande entre lui, le comte de Saint-Ybar et madame la duchesse de Chevreuse. La pièce est datée du 27 septembre 1647, et signée P. Ernest de Mercy. Elle fait partie des papiers de la secrétairerie d’état espagnole qui se trouvent dans les archives générales du royaume de Belgique à Bruxelles ; nous en devons la communication à l’obligeance du savant archiviste, M. Gachard.