Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Auquel dire à cette heure : Ouvrez-moi votre porte ?
Pour tous ces jeunes gens la vieille Ambroise est morte.
Mais mon cœur va d’en haut vers mon pays natal.
J’oublie en le voyant les murs de l’hôpital.
Oh ! le sombre séjour pour le corps et pour l’âme !
La vieillesse indigente est-elle donc infâme ?
Sur la porte est écrit : Maison de charité,
Mais on fait d’un asile une captivité.
Puis, le jour et la nuit, parmi ces odeurs fades,
Vieux soi-même, ne voir que vieillards et malades,
Des morts ! — La bonne mère, avancez votre main,
Et prenez ce denier pour bénir mon chemin. »


III


Seul, me voilà perdu dans ces vastes ruines,
Colline s’élevant au milieu des collines,
Et de ces murs croulés, du faîte de ces tours,
Mes regards vers le fleuve aimé s’en vont toujours.

Gloire de l’Armorique et de la Domnonéo,
Seras-tu de mes vers la seule abandonnée ?
Cent fois j’ai dit l’Ellé, l’Isol et le Léta,
Noble Avon, et jamais ma voix ne te chanta[1].

Ton frère cependant a vu naître Shakspeare,
Car la double Bretagne aux mêmes noms s’inspire ;
Partout nos deux pays disent les mêmes lieux ;
Ils ont la même langue et les mêmes aïeux. —

C’est un soir, dans les bains de notre duchesse Anne,
Que m’apparut ton cours limpide. Une liane
Y trempait sa fleur rose, et ton bruit argentin
Montait d’un sol brillant de paillettes d’étain.

Plus loin, un long canal te reçoit et t’embrasse :
Les saules sur tes bords épanchaient plus de grâce ;
Or les libres poissons ont fui, tous d’un seul trait ;
Il faut à leur séjour l’ombre de la forêt.

Libre, je fuis comme eux la savante structure,
Barrière que saura renverser la Nature,
Quand, des monts déboisés reprenant son essor,
Elle crîra : Tombez, digues ! je règne encor.

  1. L’Avon, fleuve ; en français Aulne.