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tout consiste à agir sous l’impulsion de l’énergie individuelle. Là est la grandeur de la race américaine ; mais voici son piège : comme tout ressort de l’activité individuelle, il s’ensuit que la vie est une grande bataille où règnent la force et l’esprit de conquête.

Un des plus curieux problèmes de l’existence des États-Unis est de savoir comment est né cet esprit d’envahissement devenu une menace pour tous les états voisins, comment la race yankee est entrée dans cette voie périlleuse. Il y a là beaucoup sans doute de cette humeur native de la démocratie américaine. Il existe cependant une autre cause que mettent en lumière les écrits de Channing, traduits aujourd’hui par M. Édouard Laboulaye. Une question a contribué surtout au développement de l’esprit de conquête aux États-Unis, c’est la question de l’esclavage. Nul n’ignore la lutte qui existe, depuis longtemps entre les états à esclaves du sud et les états libres du nord, lutte qui a risqué plus d’une fois de dégénérer en scission violente, et qui n’a été tempérée que par des compromis successifs. Toute la difficulté consiste à maintenir l’équilibre au sein de l’Union entre les états à esclaves et les états libres, et comme la liberté a été assurée pour l’avenir aux états nouveaux qui se forment dans l’ouest, les partisans de l’esclavage ont eu recours à cette extrémité de la conquête, qu’ils ont appelée l’annexion, — l’annexion du Texas, l’annexion de Cuba, l’annexion du Mexique, — pour y rétablir ou y maintenir l’esclavage et fortifier les états primitifs possesseurs d’esclaves. La question de l’esclavage, on peut le dire, a eu pour fatal résultat de corrompre profondément la vie publique aux États-Unis. Elle a commencé par jeter la confusion dans toutes les idées politiques, dans tous les partis, en subordonnant toutes les combinaisons à cette considération unique et invariable du maintien ou de l’abolition de l’esclavage. Elle a précipité en outre l’esprit américain dans cette voie d’empiétemens, de violences et de conquêtes où le droit n’est plus rien, où la force seule est comptée. Aussi Channing cédait-il à une juste et généreuse inspiration en élevant la voix au moment où l’annexion du Texas laissait éclater les premiers symptômes de ces tendances. Il pressentait ce qui arrive ou ce qui arrivera peut-être, la substitution de la force brute à tout principe moral, le danger d’une lutte avec l’Europe. Moins enthousiaste que d’autres de cette rapidité d’enfantement dont s’enorgueillissent les États-Unis, il rappelait avec éloquence que « toute croissance noble est lente. » Oui, il faut le temps pour la fortune des hommes comme pour la fortune des peuples, et il faut aussi la justice. Le temps et la justice finissent tôt ou tard par se venger, quand on prétend se passer de leur concours.

L’Espagne n’en est point à ces vastes plans de conquête, elle en est à se conquérir elle-même, à conquérir un peu d’ordre et de stabilité, une certaine direction dans son gouvernement, quoique régularité dans ses finances, toutes choses que l’assemblée constituante de Madrid ne lui a point données dans sa première session, et qu’elle ne lui donne guère encore depuis qu’elle a recommencé ses travaux. Les cortès espagnoles en sont toujours au laborieux enfantement d’une constitution dont elles ont déjà discuté les bases pendant six mois, et dont elles discutent les articles maintenant. Ce que sera cette constitution et quelle en sera la durée, nul ne peut le dire en vérité ; ce