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général Alvarez, des bandes hideuses que le climat tempéré du plateau mexicain décime rapidement ; dans la capitale, un ministère incomplet dès le lendemain de sa formation, quelques-uns des auteurs de la révolution honteux et effrayés de leur succès, des déclamations délirantes, un trésor vide, un reste d’armée qui se fond à vue d’œil, les classes élevées livrées au désespoir, la conviction universelle que de nouveaux changemens sont inévitables et prochains !… ici est le résultat d’une fatale erreur commise au début de l’indépendance dans toute l’Amérique espagnole, et qui a consisté à croire que des peuples sans la moindre habitude du self government pouvaient se donner les institutions républicaines les plus avancées, parce qu’il y avait chez eux quelques hommes qui avaient lu le Contrat social, et parce que les États-Unis avaient fait en 1776 une déclaration des droits. Nous allons retrouver les mêmes illusions, les mêmes enivremens de rhétorique déclamatoire, les mêmes déchiremens politiques et le même châtiment sur un autre théâtre plus restreint, mais auquel sa position géographique prête une grande importance, — le petit état de Nicaragua, dans l’Amérique centrale. Il vient de se passer là un des épisodes les plus curieux de l’histoire de ce temps, et nous pouvons ajouter les plus instructifs, car il donne la mesure du peu de force qu’il faut déployer dans ces contrées pour y faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal : c’est leur éloignement seul qui effraie l’imagination ; mais est-ce qu’il y a encore des distances ?

Le Nicaragua était depuis plusieurs années en proie à la guerre civile. Un parti, qui s’intitulait républicain ou démocratique, avait levé le drapeau de la révolte contre le gouvernement légal, dont les tendances conservatrices se rapprochaient de celles du pouvoir établi à Guatemala, et les Américains du Nord, qui ont un pied dans le pays par l’établissement de la compagnie du transit à Greytown, s’étaient empressés de se déclarer en faveur des insurgés. Cependant la lutte se prolongeait sans résultats décisifs, et des deux côtés on en était arrivé à l’épuisement. Le président légal, le chef de l’insurrection, les généraux des deux armées étaient morts, et il n’existait plus, à vrai dire, ni gouvernement ni insurrection organisée, quand au mois de juin dernier est arrivée au Nicaragua une petite expédition de flibustiers, venant de San-Francisco, forte de soixante et un hommes, et commandée par un aventurier hardi du nom de Walker, dont une entreprise malheureuse, sur la Basse-Californie a signalé, l’audace et fait la réputation. Pendant les deux premiers mois, les mouvemens de la bande de Walker, successivement renforcée et abandonnée par les gens du pays ou par des soldats dispersés de l’insurrection, paraissent très décousus. Il essuie même des échecs, se rembarque sur le brick, qui l’avait amené, débarque sur un autre point, reprend encore la mer après des engagemens sans importance, tient tout le littoral en alarme, et enfin le 2 septembre quitte la côte, se dirige vers l’intérieur et le lac de Nicaragua, bat les troupes qu’il rencontre, coupe la ligne de communication entre Greytown sur l’Océan-Atlantique et San-Juan sur la Mer du Sud, s’empare des provisions et de tout ce qu’il trouve à sa convenance sur un bateau à vapeur de la compagnie du transit, puis se rend maître de la capitale de l’état par surprise, et presque sans coup férir. Rien de plus bizarre que ce qui se passe alors. La population effrayée