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indépendance, les américains s’étaient trouvés en guerre avec les Barbaresques par la seule raison qu’ils n’avaient pas encore de traité avec eux. On sait que les musulmans avaient autrefois pour principe qu’ils étaient en état permanent et très légitime de guerre contre tous les peuples chrétiens, que seulement ils devaient s’abstenir de tout acte d’hostilité envers ceux avec qui ils étaient liés par des traités particuliers, lesquels cependant ils ne regardaient jamais que comme des trêves. En vertu de ce principe, ils avaient attaqué le pavillon de la jeune république, qui dut faire quelques sacrifices pour mettre fin à un état de choses nuisible à son commerce naissant. Un traité avait donc été signé et un consul américain envoyé à Tripoli, ce qui avait eu lieu également pour les autres états barbaresques; mais en 1800 la paix avait été rompue, et les efforts du consul-général de France furent impuissans à la rétablir. Les hostilités entre les Américains et la régence durèrent quatre ans. Durant ce temps, le port de Tripoli fut presque continuellement bloqué. Plusieurs attaques, conduites par le commodore Prèble, causèrent plus de mal aux Américains qu’à leurs ennemis. Dans la première, les assaillans perdirent une frégate qui échoua sur des rochers à l’entrée du port; trois cents hommes qui la montaient tombèrent au pouvoir des Barbaresques, ce qui rendit le rétablissement de la paix plus difficile à cause des prétentions énormes qu’éleva le pacha pour leur rançon. Les Américains, voyant le peu de succès de leurs attaques sur Tripoli, négocièrent avec Sidi-Ahmed, frère du pacha, qui s’était vu chassé du trône et forcé de se réfugier en Égypte. Le but des Américains était d’allumer la guerre civile dans le pays et de vaincre par cette diversion l’opiniâtreté du prince africain. Ce moyen leur réussi : Sidi-Ahmed, appuyé par les troupes du commodore, s’empara de Derna, et son frère, effrayé, se hâta de conclure un traité à des conditions raisonnables. La paix fut signée le 3 juin 1805. Ce résultat obtenu, les Américains plantèrent là leur allié et abandonnèrent Derna, y laissant pour souvenir de leur présence quelques fortifications et un moulin. Tel est le résumé de cette guerre des Américains contre la régence de Tripoli, qui fut aux gigantesques opérations militaires de la période où elle eut lieu ce que la Batrachomyomachie est à l’Iliade.

On compte six ou sept journées de marche, par les plateaux, de Derna à Bengazi, ville de chétive apparence, située à l’autre extrémité de la Cyrénaïque et chef-lieu de toute cette contrée. Dans ce trajet, on ne rencontre pas un seul centre fixe de population[1].

  1. En 1852, les Turcs ont construit un fort dans une localité appelée Saleh, à une journée de Derna, en tirant vers Bengazi.