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obtiendra-t-il l’approbation des fabricans de soieries, car il a traité cette partie de son travail avec une attention que je puis appeler religieuse. Quant à la forme du corps, il est impossible de la deviner. Ni les hanches ni les genoux ne sont accusés. Si les femmes de Madrid sont aussi folles que les femmes de Paris, si elles s’obstinent à dénaturer la forme de leur corps par l’extravagance de leur toilette, c’est aux peintres qu’il appartient de les ramener an bon sens en corrigeant sur la toile l’absurdité de leur ajustement. Quelle que soit d’ailleurs la déférence de la duchesse de Medina-Cœli pour les caprices de la mode, j’ai peine à croire qu’elle parodie aussi résolument la forme humaine. Une femme qui ressemblerait littéralement au portrait signé de M. Madrazo serait à coup sûr très mal construite et ne marcherait pas sans de grands efforts.

Parlerai-je de la duchesse d’Albe, dont le visage, quoique modelé d’une façon très imparfaite, laisse pourtant deviner une physionomie gracieuse? C’est quelque chose de plus triste encore que le portrait de la duchesse de Medina-Cœli. Ici la forme du corps n’est pas même parodiée : elle n’est pas indiquée. Pour donner une idée fidèle de cet ouvrage à ceux qui ne l’ont pas vu, je suis obligé de recourir aux comparaisons les plus vulgaires. La robe de la duchesse d’Albe a précisément la forme de ces gaines d’osier où l’on place les enfans coiffés de bourrelets, et que les nourrices appellent chariots. Que ce soit là le type vrai de la robe de cour à l’Escurial, je n’oserais le contester, car je suis incompétent dans la question; mais je me rappelle que Van-Dyk et Velasquez, qui nous ont laissé le portrait des plus grandes dames de leur temps et qui se trouvaient, comme M. Madrazo, en présence des caprices de la mode, n’ont jamais renoncé à exprimer la forme des membres inférieurs par quelques plis d’étoffe. Dans le portrait de la duchesse d’Albe, je ne trouve rien de pareil. La robe est faite de telle façon, qu’elle semble pouvoir se tenir debout lors même qu’elle serait vide. Les Vénitiens et les Flamands, qui ont poussé si loin le goût de la splendeur, n’ont jamais sacrifié le modèle vivant à l’étoffe. Si M. Madrazo, en ne suivant pas leur exemple, croit les avoir surpassés, il commet une lourde méprise. Le portrait de la duchesse d’Albe, à parler franchement, est une des œuvres les plus informes que j’aie vues depuis longtemps.

Quant à celui de la comtesse de Vilches, il mérite des reproches encore plus graves, car non-seulement le modèle est mal posé, mal assis, non-seulement il est impossible de deviner la forme du genou droit, mais les deux bras sont estropiés. L’expression peut sembler dure, et pourtant c’est la seule vraie. Si la comtesse de Vilches avait le malheur de posséder deux bras pareils à ceux que lui a faits M. Madrazo, elle ne pourrait ni tenir son éventail, ni monter